Archive dans octobre 2001

Stephen King traque les souverains poncifs

Dans son dernier livre ÉCRITURE, mémoires d’un métier, publié chez ALBIN MICHEL, Stephen King donne quelques conseils d’écriture aux écrivains.

Ne vous attendez pas à un enseignement de haute volée malgré l’éloge de la quatrième de couverture qui n’hésite pas à qualifier ce livre de “hors norme et génial, tout à la fois essai sur la création littéraire et récit autobiographique. Mais plus encore révélation de cette alchimie qu’est l’inspiration.” Je comprends mieux pourquoi mon manuscrit a été refusé par ALBIN MICHEL. Si c’est ce niveau-là de l’écriture qui leur suggère le génie et le hors norme, il y avait de toute évidence une distance technique et une incompréhension entre nous.

Reprenant sans doute l’équivalent américain du Larive & Fleury, son cours de grammaire en CM2, Stephen King écrit, page 231 : “La comparaison zen n’est que l’un des pièges potentiels du langage au figuré. Le plus courant (le manque de culture littéraire est d’ailleurs à peu près toujours à l’origine de ce qui nous fait chuter) est l’utilisation de comparaisons, métaphores et images qui sont devenues des clichés. Il courait comme un fou, elle était jolie comme un cœur, il s’est battu comme un lion… Ne me faites pas perdre mon temps avec des poncifs aussi éculés. Vous risquez de passer pour paresseux ou ignorant. Aucune de ses descriptions n’améliorera votre réputation d’écrivain.”

Toujours prêt à prendre une leçon qui améliorerait mon style dans l’espoir d’être reconnu un jour par un éditeur traditionnel, j’ai donc consulté au hasard deux titres récents, deux romans, du catalogue… ALBIN MICHEL.

Premier exemple, le dernier roman d’un grand écrivain dont je ne citerai pas le nom par délicatesse, mais qui est publié parce qu’il présente le journal de 20 heures sur la première chaîne de télévision. Je prends une page au hasard. Je vous jure que je ne mens pas, vous pouvez vérifier.

Que lit-on :

– “Barbara lui répondit d’un pâle sourire...”
– “… cheveux noirs mi-longs, yeux verts, […] carrure athlétique…
– “… elle attisait le regard des hommes.”
– “Elle démarra sur les chapeaux de roues…
– “… s’en méfiaient comme de la peste.
– “… tandis que leurs épouses les fusillaient du regard…
– “… qu’il valait mieux ne pas tomber dans ses filets.

Deuxième exemple : le roman d’un grand écrivain (tiens ? Certains ont le droit de publier un premier roman après 45 ans ?) dont je ne citerai pas le nom par délicatesse, mais qui est publié parce qu’il fait aussi tomber la neige.

Je vais me limiter à lire le début du roman, c’est-à-dire l’insipide, pardon : l’incipit.

“Bruxelles endimanché a lâché ses blancs moutons dans son ciel de printemps.”

C’est beau comme une rédaction du CM2.

Que disait Stephen ? Ah oui : “… Vous risquez de passer pour paresseux ou ignorant.”

Je ne sais pas si je dois m’adresser à Monsieur Albin ou à Monsieur Michel, mais, franchement, vous devriez dire à Monsieur King que ce n’est pas sympa de sa part de montrer du doigt les défauts de ses petits camarades.

C’est pas moi qui ferais une chose pareille…

Plus de peur que de mâles

L’éditeur Plon vient de publier un livre intitulé : “J’ai connu sept ministres de l’Éducation nationale”. L’auteur : Monique Vuaillat.

Fort heureusement, une bande sur jaquette précise : “Pendant 17 ans à la tête du principal syndicat d’enseignants”.

Ouf ! J’avais pris peur. J’ai cru un moment que Catherine Millet avait fait une adepte !

Robbe-Grillet dégomme

(Allusion à son deuxième roman Les gommes. J’explique, sinon mon jeu de mots est grillé.)

Dans Le Voyageur (Christian Bourgois Éditeur), on trouve un entretien accordé par Alain Robbe-Grillet au magazine LIRE en 2000.

Sur la littérature d’aujourd’hui : Ne pas déranger

“Aujourd’hui, un jeune écrivain se doit d’avoir un appartement, un chien, une femme , une voiture, un poisson rouge. Il veut vendre ses livres vite et en vivre bien. Et il deviendra d’autant mieux un auteur de best-sellers que sa littérature ne dérangera pas. […] La littérature est faite de littératures. Il y a la littérature qui dérange et celle qui ne dérange personne. […] On peut craindre que les jeunes écrivains ne refoulent leur capacité de dérangement. Mais ont-ils vraiment envie de déranger ? C’est peut-être notre époque qu’il faut incriminer.”

Sur l’édition : Le pognon d’abord

“Autrefois, le métier d’éditeur ne relevait pas vraiment du commerce. Le vieux Fischer, par exemple, qui est à l’origine de plusieurs prestigieuses maisons d’édition allemandes, définissait ainsi son activité : “Publier des livres dont le public ne veut pas.” Jérôme Lindon était ainsi. De nos jours, perdre de l’argent, c’est stupide. Autrefois, c’était en gagner qui était plouc !”

Sur les prix littéraires : Des navets pour des poires

[…] “Le seul objectif des prix littéraires, c’est de faire vendre des livres. […] Si les livres primés ne se vendent pas, le prix disparaît. J’ai fondé plusieurs prix, et participé à des quantités d’autres? Le premier a été le prix de Mai. […] Nous avons couronné uniquement des livres qui n’étaient ni médiatiques ni médiatisables. Et le prix a disparu tout simplement. Pourquoi le prix Médicis a survécu ? Parce que nous couronnons au moins une année sur deux un navet vendable.
On fonde un nouveau prix parce qu’on trouve que les autres ne couronnent pas assez de livres intéressants. C’est comme cela que le Renaudot a été créé, en réaction contre le Goncourt, le Médicis contre le Femina. On commence donc par choisir des livres difficiles et intéressants. Mais on s’aperçoit très vite qu’il ne faut pas exagérer !
Autre problème : la plupart des jurés de bonne valeur littéraire ne tiennent pas le coup. Il faut une sacrée dose d’énergie vitale et d’humour pour résister aux réunions d’un prix littéraire. 
[…] Il faut aussi supporter, évidemment,la pression des grands éditeurs. […] La seule chose que je regrette, c’est que, contrairement à ce qu’on entend dire, on ne nous paye pas. […] Il y a seulement tout un jeu d’amitiés, et souvent pour son propre éditeur.”

“… nous couronnons au moins une année sur deux un navet vendable.”

Et c’est ainsi que la France littéraire s’emmerde.