Archive dans octobre 2002

L’avocate accordéoniste se fait remonter les bretelles

Valérie Faure est avocate au barreau de Bergerac. Dans ces heures de détente, son plaisir est de jouer de l’accordéon avec son mari sur les marchés. Elle a été sommée de s’en expliquer devant le conseil de discipline de l’ordre des avocats qui considère que ce loisir musical porte atteinte à la dignité de la profession. “jouer de l’accordéon dans les rues est indigne et ridiculise toute la profession” (sic), dit l’un des accusateurs.

Je peux le comprendre : accordéoniste amateur moi-même, je n’ai pas fait d’études de droit, considérant que la profession d’avocat était indigne d’un musicien.

Le souffle est léger pour le moment, presque imperceptible. Mais observons bien le mouvement de la société au travers même de la petite actualité comme ce fait divers qui peut paraître anecdotique et faire sourire. Nous sommes sous le souffle d’un évangélisme exterminateur de nos libertés individuelles. Profitant d’une série d’interdits dont la société aurait besoin pour se remettre en ” ordre ” (c’est un autre débat), les lobbies intégristes de toute nature en profitent sournoisement pour imposer les leurs selon l’idée qu’ils se font du politiquement correct. À ce rythme, on peut se demander si dans quatre ou cinq ans les étudiants ne descendront pas dans la rue en criant qu’il est interdit d’interdire…

Il me semble qu’un grand ténor du barreau avait été inquiété, il n’y a pas si longtemps, dans une affaire de tableaux. Je n’ai pas entendu le conseil de l’ordre crier à l’indignité. Quand Me Verges, dans l’une de ses habituelles provocations, pose nu dans sa baignoire devant les photographes d’un grand magazine, personne ne parle d’indignité de la profession.

Soyons honnêtes. Ne profitons pas du cocasse de la situation en faisant mine d’ignorer le vrai motif de mécontentement. Ce que le conseil de l’ordre reproche officiellement à l’avocate, ce n’est pas tant de jouer de l’accordéon dans les rues, mais de déposer à ses pieds l’étui de l’instrument ouvert, permettant aux passants d’y jeter une petite pièce. Le conseil assimile cette situation à de la mendicité et là se trouverait la fameuse indignité. La jeune femme proteste en disant qu’il n’y a pas mendicité puisqu’elle offre une prestation en échange. Quand on choisit comme instrument le piano du pauvre, il n’est pas étonnant que la mendicité l’accompagne.

Giscard jouait de l’accordéon et nul n’a jugé qu’il portait atteinte à la dignité de la présidence de la République. Et qu’on ne vienne pas me dire qu’il ne s’agissait pas de mendier des voix. Bill Clinton jouait du saxophone sur les estrades électorales et personne n’a pensé que cette indignité portait atteinte à l’image de l’Amérique dans le monde. Il fut un temps, de nombreux hommes politiques, membres du gouvernement et parlementaires, se précipitaient dans certains shows télévisés pour chanter faux (bien avant Star Academy) . Et qu’on ne vienne pas me dire qu’il n’y avait pas là une forme de mendicité électorale.

Quand un grand maître des prétoires qui se prend aussi pour un grand écrivain trouve un éditeur pour publier ses souvenirs d’enfance dont tout le monde se fout à part quelques membres de sa famille, personne ne va lui reprocher ses droits d’auteur. Il serait prétentieux d’établir une hiérarchie artistique et de croire que l’écriture d’un livre est plus honorable que de jouer de l’accordéon sur les marchés…

Pour que le conseil de l’ordre soit saisi de cette affaire, il a bien fallu un acte de délation. Là se trouve peut-être la véritable indignité.

Mais l’indignité, c’est aussi l’avocat qui “oublie” de venir assister son client (le cas est fréquent et je l’ai vécu) à une audience. L’indignité, c’est un juge qui vous convoque à 8 heures et qui se permet d’arriver à 11 h 30, sans s’excuser, prétextant qu’il a été retenu par une affaire importante, sous-entendu plus importante que la vôtre. L’indignité, c’est un président de tribunal qui demande à votre avocat, dans une affaire grave, d’écourter sa plaidoirie (et je l’ai vécu) “parce qu’il est convié à un apéritif et qu’il ne voudrait pas le rater.” J’aurais mille fois préféré avoir devant moi un accordéoniste duquel j’aurais obtenu plus de doigté, un meilleur sens de l’harmonie et une attitude sans fausses notes, ce qui manque parfois cruellement à la justice. Sans parler de nombre d’élus politiques, avocats de professions, mis en cause dans des affaires et qui, retournés à la société civile, reprennent tranquillement leur profession… d’avocat !

La défense de l’accordéoniste est assurée par Me Collard, grand avocat médiatique et donc spécialiste des instruments à vent.

L’assassin habite chez Calmann Lévy

De nombreux auteurs de talent rongent leur plume dans un coin de la France littéraire d’en bas pendant qu’un assassin d’enfant n’a rencontré aucune difficulté à séduire l’industrie du livre.

Le passionné d’écriture enverra vainement son manuscrit aux éditeurs, par la poste. Il collectionnera les lettres de refus polis lui disant que ses textes ne semblent pas correspondre à l’attente du public ou qu’il n’existe pas de collection susceptible de les accueillir.

Un assassin d’enfant, lui, ne perd pas son temps à envoyer son précieux manuscrit par la poste. Il convoque les éditeurs. Et ils viennent. Tel petit papa Denoël qui envoya un de ses collaborateurs déjeuner avec la star-killer.

Finalement, c’est chez Calmann-Lévy que l’assassin d’enfant fera l’unanimité du comité de lecture qu’on félicitera au passage. Espérons qu’on ne se trompe pas en félicitant le comité puisqu’un éditeur dit toujours que votre ouvrage lui a fait forte impression, qu’il aurait vraiment souhaité le publier, mais que, hélas, son comité de lecture ne l’a pas suivi…À moins que les stars-killers soient dispensées du passage en comité de lecture.

Passons sur le contenu du bouquin dont la presse dit qu’il est sans intérêt, au cas où on aurait pensé en trouver un et surtout au regard de la “réinsertion sociale” honorable de l’artiste.

Il y a donc une collection et un public pour les confessions ratées de la vie ratée d’un assassin d’enfant.

La controverse s’anime à propos du scandale qu’il y aurait pour un assassin d’enfant à se faire du pognon sur la notoriété de son crime dont le motif était déjà de se faire du pognon. Un député est monté au créneau en préparant une proposition de loi pour que les droits d’auteur des criminels soient reversés à des associations. Mais jusqu’à ces derniers jours, personne ne semblait s’indigner qu’un éditeur et un réseau de diffusion ne se fasse du pognon sur le crime d’un enfant raconté par son auteur. Il faut savoir en effet qu’un ” écrivain ” perçoit entre 8 et 10 % du prix hors-taxes d’un livre, parfois plus s’il y a eu négociation sur des paliers de ventes. Ce n’est pas ” l’auteur ” qui dans cette affaire empocherait le plus de pognon. Le reste serait réparti entre l’éditeur (ce n’est pas lui qui gagne le plus), le diffuseur (c’est le plus gourmand) et le libraire (environ 33% quand même). N’oublions pas l’État qui, avec la TVA, empoche toujours sa part des mauvaises actions sans que nul ne le remarque. Une indignité en conséquence bien partagée, comme on peut le voir.

Mais voilà qu’on apprenait le 14 novembre dernier que les actionnaires de Calmann-Lévy avaient appelé Hachette Livre (qui détient 70% du capital de l’éditeur) à reverser ” la majorité des bénéfices issus de la vente du livre “ de l’assassin d’enfant à des associations.

Rien ne permet d’affirmer à ce jour que cette bonne résolution a été réellement suivie d’effet.

Une remarque cependant : si c’était pour aboutir à une affaire quasiment blanche, il eut été sans doute plus intelligent et surtout plus honorable de renoncer à publier les mémoires de l’assassin d’enfant.

Sollers épinglé

Dans son émission Tout le monde en parle, Thierry Ardisson demande à Philippe Sollers ce qu’il pense de cette phrase : “L’amour mène à la violence ou à la mélancolie.”

“Je ne sais pas qui a dit ça, répond le Très Grand Écrivain de tous les temps, mais c’est quelque chose de très bête.”

“C’est con, reprend Thierry Ardisson, parce que c’est vous…”