Archive dans mai 2003

Tests à claques

Ne croyez pas qu’il faille passer beaucoup de temps devant la télévision pour récolter autant de bourdes, de niaiseries, et me donner matière à alimenter cette chronique.

Rien n’est plus faux. Il suffit simplement (hélas !) d’allumer son poste à n’importe quel moment de la journée ou du soir, et on est à peu près sûr de tomber sur une connerie bien copieuse. À condition toutefois d’avoir l’oreille fine et un minimum d’esprit critique.

Pour vous convaincre, faisons un test.

Samedi 17 mai 2003, 13h25, sur M6. Émission Bachelor.
Je ne connais rien de ce jeu télévisé à l’exception des bandes-annonces qui persuadent mes neurones déjà bien malmenés de ne pas regarder. La connerie est arrivée en moins d’une minute.
Une des candidates dit : ” C’est très excitant parce qu’il ne se passe rien. “

Avec cette simple phrase, la fille vient de résumer le concept d’une émission qui ne présente aucun intérêt. Son observation peut même illustrer l’état actuel de la télévision et, au-delà, un sociologue pourrait y voir une critique laconique et judicieuse de notre société du vide.

Quelques secondes plus tard, je zappe sur la Cinq. Émission On aura tout lu.
Le thème : ” Le service public : réforme impossible. “
Apparemment, le sujet est sérieux. Et voilà qu’un des invités déjante et dit : ” C’est en Bretagne que l’on obtient les meilleurs résultats scolaires, vous savez pourquoi ? Parce que c’est dans cette région qu’on a les pubis les plus développés. “

Ça ne s’invente pas.

Dimanche 18 mai, 21h15. Émission Capital
Au cours d’un reportage sur les jeunes Français qui vont travailler en Espagne, une créatrice d’entreprise dit ceci : ” C’est important quand on ouvre un centre international de trouver des gens de toutes les nationalités. “

Autre exemple. Pendant la guerre en Irak, la chaîne de télévision LUI invite un général-expert pour qu’il vienne nous expliquer ce qu’il faut comprendre des combats…

Et le général-expert (sic) déclare : “Une guerre n’est jamais gagnée d’avance. Il ne faut jamais sous-estimer l’adversaire.”

Grand silence sur le plateau devant la pertinence de cette remarquable “expertise”. Un talent pour l’évidence et une perspicacité de l’inutile. On attendait que le général-expert nous prédise que cette année Noël tombera le 25 décembre…

Et enfin, à un journaliste qui lui demandait s’il savait où se trouvait Saddam Hussein, Ronald Rumsfeld a répondu : ” Où est-il ? Soit il est mort, soit il est blessé, soit il ne veut pas se montrer.”

À moins qu’il soit parti chercher une bouteille à la cave.
Heureusement que l’on nous dit que les bombes, elles, sont intelligentes…

Messier est servi !

Sous la présidence d’André Santini, député-maire d’Issy-les-Moulineaux, le jury du prix Iznogoud récompense chaque année, je cite : « une personnalité d’une grande notoriété qui a tenté de devenir calife à la place du calife, s’est vantée et a échoué dans son entreprise ».

Le choix du jury, notamment composé de Roselyne Bachelot et du dessinateur d’Iznogoud Jean Tabary, s’est porté cette année sur… Jean-Marie Messier pour l’ensemble de son œuvre universelle.

Ayons une pensée pour tous les employés du groupe Vivendi qui ont dû se réjouir à l’annonce de cette petite récompense bien méritée, eux à qui on aura refusé une augmentation de 10 euros par mois (ça existe) au prétexte que leurs prétentions risquaient de mettre en péril la bonne santé de l’entreprise ; alors que peu de temps avant une éviction prévisible, leur patron s’octroyait une augmentation de salaire de 128 % sur la base d’une rémunération qu’il serait indécent de rappeler ici par ces temps de grosse chaleur…

Dans la France d’en bas, on connaît peu de commerciaux à qui on proposerait une augmentation de salaire de 128 % au regard d’une chute de 77 % de leur portefeuille. C’est pourtant dans ces proportions-là que la France d’en haut se gratifie.

Comme l’ancien patron d’Air Lib qui, à peine nommé président pour redresser une entreprise en difficulté, s’est octroyé une « prime de bienvenue » de 800 000 euros ! C’est ce qui s’appelle voler de ses propres zèles.

Comme l’ancien patron d’Elf qui, venant à peine de signer sa lettre de démission, court s’acheter l’après-midi même pour 80 000 F de mobilier de jardin avec la carte bleue de l’entreprise qu’il avait « oublié » de rendre. Il dira au juge que c’était une « inadvertance » de sa part, que c’était une habitude et qu’il n’avait pas encore pris conscience qu’il n’appartenait plus à l’entreprise. Une entreprise où l’on doit encore trouver un sous-califougasse qui rationne les gommes et les crayons au petit personnel pour maîtriser ses frais de gestion. Non, mais !

Ayons également une pensée pour toutes les têtes de collaborateurs compétents que le califounet Messier a dû couper pour atteindre la puissance convoitée. C’est que tout patron qui veut se donner rapidement et artificiellement de l’envergure doit nécessairement tuer des gens sur son passage, des hommes et des femmes plus compétents que lui, plus loyaux, plus intègres, pour arriver à imposer un jour sa propre expérience de l’incompétence. Le principe de Peter exige quelques sacrifices.

Hélas, le sort s’acharne sur califournouille. Le tribunal de grande instance de Paris vient de mettre sous séquestre l’indemnité de départ de 20,6 millions d’euros qu’un tribunal artibral américain lui avait récemment accordé. Tout le monde compatira à cette petite misère financière car chacun sait l’importance d’avoir un petit pécule devant soi quand on s’apprête à passer l’été au camping de la plage avec sa petite famille.

Et voici que l’APPAC, association de défense des actionnaires, porte plainte contre X pour abus de bien social concernant les salaires de 2002 et les indemnités de départ de Vivendi Universal du califourchon. Un montant exagéré de la partie variable de la rémunération d’un patron, au regard du résultat négatif de sa société, constituerait un abus de bien social. En 2002 en effet, pour six mois de travail à la tête de VU, Messier aurait touché 5,6 millions d’euros tandis que le groupe affichait sur l’ensemble de l’année une perte historique de 23,3 milliards d’euros.

Mais les petits malheurs du califourchette ne s’arrêtent pas là. Outre l’ouverture d’une enquête judiciaire contre X pour « publication de faux bilans » et « diffusion d’informations fausses ou trompeuses » au marché, voici qu’un de ses anciens collaborateurs, le député UMP Alain Marsaud, prend la tête d’une mission d’information de l’Assemblée nationale sur les rémunérations excessives de grands patrons du CAC 40.

Voilà ce qui arrive, cher Iznogoud, quand on s’amuse à donner un coup de calife dans le contrat.