Archive dans 2007

Faut pas prendre les enfants de Bourdieu pour des connards sauvages

On se préoccupe beaucoup, en ces dernières heures de campagne électorale médiatique, de savoir dans quel état d’épuisement les candidats vont terminer cette première partie de l’épreuve. On devrait plutôt s’inquiéter de savoir dans quel état d’expectative lassée vont finir les électeurs.

Il est probable que le citoyen assidu finira cette aventure écroulé sous les sondages, surveillant la fluctuation des points comme au concours de l’Eurovision, alors qu’on dénombre 18 millions d’indécis, ce qui relativise quand même les calculs. Quant aux médias, ils auront passé plus de temps à publier, commenter et décortiquer les sondages qu’à nous proposer de sérieuses analyses comparatives des différents programmes.

Les débats de fond contradictoires n’ont pas eu lieu. Les candidats les plus en vue en sont responsables ; les autres, plus batailleurs, étaient pourtant prêts à en découdre. Les deux candidats désignés comme principaux par les sondages ont refusé la confrontation, Ségolène Royal, invitée par des journalistes, ne s’est pas toujours rendue aux rendez-vous.

On l’a surprise maintes fois à infantiliser son auditoire, des journalistes aussi, selon une vieille méthode de management qui n’est qu’une défensive et qui se répand de plus en plus dans notre société.

Par crainte d’être interrogés sur la politique étrangère de la France pour les cinq années qui viennent, par exemple, les postulants ont préféré répondre à des magazines de troisième ordre pour dire ce qu’ils pensaient des… animateurs de télévision. Même François Bayrou a donné une interview à un magazine canin. On rêve.

 

Remettre la France au travail. Au noir ?

On attendait aussi que de vrais journalistes d’investigation, indépendants, libres, aillent contre-enquêter scrupuleusement les affirmations du Canard enchaîné à propos des supposées affaires immobilières et fiscales de deux candidats. Mais ces enquêtes, légitimes en démocratie quand règne une réelle liberté de la presse, n’ont pas eu lieu ou ont été étouffées. Deux candidats s’étaient engagés à publier leur patrimoine, ils ne l’ont pas fait. Dans une semaine, le ou la candidate élu (e) pourra se couvrir derrière la Constitution pour ne pas répondre aux questions dérangeantes.

Beaucoup de Français ont apporté leurs commentaires sur ces sujets et nombreux ont jugé qu’on avait tort de s’attarder sur ces questions et de persécuter les candidats. C’est que la fraude, sport national français, a aussi ses supporters. Et on a probablement tort de réclamer un peu de lumière sur l’intégrité de ceux qui nous donnent des leçons de morale et qui veulent nous remettre au travail, nous qui n’avons jamais cessé d’y être pour ne mériter que les placards que nous réservaient des patronnets psychopathes, des privations d’augmentations de salaire et pire que tout, une absence totale de reconnaissance du travail réalisé.

 

Les grands et les petits

Dans notre pays démocratique, nous avons entendu aussi qu’il y avait des grands et des petits candidats, au contraire du principe d’égalité proclamé par la République. Un petit candidat est un candidat dont on estime qu’il a peu de chance d’être élu. Comment le sait-on ? Par les instituts de sondages. Des sondages qui font donc un premier tri démocratique pour nous dispenser de trop réfléchir.

On a pu remarquer aussi que les journalistes étaient pleins d’égards et de condescendance pour les candidats principaux quand ils les interrogeaient, et prompts à la raillerie anecdotique devant les autres sans intention d’entrer vraiment dans leur programme.

Si j’avais eu la malencontreuse idée de présenter ma candidature, j’aurais élaboré depuis longtemps un programme bétonné et peaufiné dans les moindres détails avec une vision de l’évolution de la France pour les années qui viennent. Mais comment attendre des candidats une mise en perspective qui n’existe même plus dans les entreprises ? Pour exemple, la mienne, où le grand calife vient brutalement de s’apercevoir que la presse écrite était en perte de lectorat et que l’avenir était sur Internet, ce que j’avais déjà compris il y a 7 ans en créant ce site…

À écouter les candidats en lice, on a eu l’impression qu’il existait certes un socle d’idées, mais que le véritable programme se construisait à la hache au jour le jour, de meeting en meeting, d’interview en interview. Avec les inévitables dérapages de la parole intensive, trop sollicitée pour le seul objectif de distribuer des mots. Je ne suis pas sûr que les militants socialistes, par exemple, aient beaucoup apprécié de voir leur candidate se détacher du programme du parti (elle l’a dit) pour imposer ses propres vues après leur avoir fait le coup de la fameuse « démocratie participative ». Curieusement, alors qu’ils avaient promis juré leur soutien, les « éléphants » du parti ont été bien timides ou écartés. Même un Jack Langue s’est fait très discret, ce qui n’est pourtant pas son habitude. En cas de victoire au deuxième tour, on les verra quand même sur les plateaux de télévision pour se féliciter, comme ils se le doivent.

Pour les deux candidats principaux, la démagogie enflammée a pris souvent le pas sur la Raison et la sincérité. Ségolène Royal aurait-elle eu à s’exprimer devant une assemblée de lanceurs de nains qui se seraient plaints d’une pénurie de munitions, qu’elle leur aurait promis aussitôt de doubler le nombre de nains en France.

 

Soutiens d’outre-tombe

De son côté, Nicolas Sarkozy s’est appuyé sur des références historiques et littéraires prestigieuses, mais inattendues de sa part, sans doute pour faire oublier des soutiens culturels comme Doc Gynéco et Steevy Boulay du loft. Après nous avoir fait croire qu’il connaissait par cœur la lettre émouvante de Guy Moquet, le voilà qui fait un tour de cimetière vite fait à Colombey-les deux-églises pour se faire filmer longuement, de face, de profil et de dos, seul, devant la tombe du Général et devant l’immense croix de Lorraine. Pas mis en scène du tout.

Puis le voici qui reprend ses références en déclarant cette fois son admiration pour Jean-Paul II. Sait-on jamais, l’intercesseur miraculeux auprès de Dieu pour guérir les tremblements de Parkinson pourrait bien faire quelque chose au prochain scrutin. On a beau s’être prononcé pour l’égalité des chances et contre la France du piston, on ne va pas tout de même pas se priver d’un miracle.

 

Giscard au Panthéon ?

Giscard trahit sa famille politique d’origine et rallie le clan qui a manigancé sa défaite en 81, un dégagement politique qu’il a lui-même révélé dans son dernier livre. C’est que, voyez-vous, l’âge de Monsieur est avancé et qu’il vaut mieux caresser tout de suite dans le sens du poil le pouvoir probable de demain. Ce collectionneur de titres, d’avantages et d’honneurs a sûrement déjà mis au point le scénario de son entrée majestueuse au Panthéon que ce pouvoir-là ne saura lui refuser. Qu’il se rassure, il doit rester environ trois cents places, en se serrant un peu.

 

La présidence de la République est-elle inscrite dans les gènes ?

On se souvient que la mère de Giscard, en 1974, nous assurait à la télévision que son fils était prédestiné à être président de la République à cause de son profil napoléonien qu’elle était seule à voir. Nul doute que Nicolas Sarkozy n’est pas loin de penser à cette prédestination et que Ségolène Royal lui emboîte l’idée. La question se pose alors de savoir si la présidence de la République ne serait pas inscrite dans les gènes. On pourrait très bien imaginer une détection précoce dans les maternelles comme certains voudraient le faire bientôt pour les comportements violents. Le plus délicat, c’est qu’on risquerait de rencontrer des troubles du comportement, une sorte d’autocratie précoce, chez certains enfants reconnus pourtant comme potentiellement aptes à gouverner les autres…

 

La farce tranquille

Après avoir changé plusieurs fois de slogans au cours de la campagne Ségolène Royal, qui visiblement décide seule, se fixe désormais sur “la France présidente”. Et voilà que Jacques Séguéla trouve ce slogan extraordinaire et remarquable… Alors que ce slogan aurait pu être l’invention de n’importe quel stagiaire d’Havas. En réponse à cette admiration dévote, Ségolène Royal en rajoute et lance sur une tribune qu’elle est la “Force tranquille”, slogan dont le même Séguéla est l’auteur !

 

Elections : le salon de l’auto… crate

Comment faire le tri entre le fond qui va engager la France et les artifices de la société du spectacle ? Les stratégies de récupération, on les devine, on les lit sur les lèvres et dans les regards. Les petites phrases, on les décode. Les hésitations, on les voit. Les comportements autocrates, ils nous aveuglent et ne nous rassurent pas. C’est qu’il y a ceux qui vendent nos cerveaux disponibles à Coca-Cola et ceux qui nous ont appris à le rendre disponible pour être un meilleur citoyen, avisé, plus averti dans la lecture des codes et donc moins crédule.

Faudrait pas prendre les enfants de Bourdieu pour des connards sauvages.