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Octobre noir

Octobre 2003.
L’été caniculaire a tué des milliers de vieilles personnes.
On accuse pêle-mêle l’indifférence, l’incapacité, l’irresponsabilité, l’imprévoyance, la météo.
Un type a dit à la télé que, de toute façon, elles seraient mortes tôt ou tard parce qu’elles étaient vieilles.
Plusieurs observateurs y voient le signe d’une société qui abandonne ses vieux parce qu’ils sont devenus improductifs et encombrants.
Certaines familles n’ont toujours pas réclamé les corps.
On discute toujours de la couleur du tricot Lacoste du ministre de la santé.
Sur FR3, la femme du président, qui au moment de l’hécatombe était en vacances au Canada, vient nous expliquer que nous sommes tous responsables. Nous sommes tous coupables. À ses côtés, sur le plateau de l’émission ” Au nom des autres ” animée par Évelyne Thomas, un amuseur-imitateur se dresse en moraliste et confirme que oui, nous sommes tous responsables. Responsables et coupables.

Tony Blair a été hospitalisé à la suite d’un léger malaise cardiaque.
Yasser Arafat souffre d’un calcul biliaire. La presse revient sur son opération du cerveau.
Un célèbre cancérologue est mort du cancer.
La France débat sur l’euthanasie.
TF1 nous dit tout sur les soins palliatifs.
Le saumon serait toxique et donnerait le cancer.
On assiste au retour de vieilles maladies qu’on croyait éradiquées.
Dans la région parisienne, on signale un cas de diphtérie, le premier depuis quinze ans.
Bush va bien. Il lance une campagne pour interdire les relations sexuelles avant le mariage.
Le terrorisme biologique menace.
Les experts se préparent à un retour du SRAS. Les autorités françaises planchent sur trois scénarios de sa réapparition.

Les Européens sont de plus en plus stressés au travail. Maux de dos, de tête, de poitrine, palpitations, troubles du sommeil et de la digestion, irritabilité, nervosité, abattement.
Des usines ferment. Le nombre de licenciements est en augmentation.
Le patronat dit que les Français sont paresseux, ils ne veulent pas travailler.

Nous sommes responsables du déficit de la sécurité sociale.
Nous allons trop souvent chez le médecin.
Nous consommons trop de médicaments.
Mais la radio diffuse tous les jours les messages d’une campagne publicitaire de l’industrie pharmaceutique.
Ces messages nous conjurent de surveiller notre taux de cholestérol.
Notre tension aussi, il faut la contrôler.
On nous engage à une hygiène de vie qui prévienne les maladies cardio-vasculaires.
On insiste : fumer tue.
On nous exhorte à contrôler notre diabète.
Et tous ces messages se terminent par : ” N’hésitez pas à consultez votre médecin ! “

La malbouffe menace nos enfants d’obésité.
Le Bureau de Vérification de la Publicité énonce quelques recommandations.
Les industriels et les publicitaires se décident à faire un effort en corrigeant la mise en scène commerciale des produits mis en accusation. À la télé, on verra toujours des gosses bouffer les mêmes merdes, mais on les verra maintenant se rendre malades “dans le cadre d’une activité physique.”

On nous éduque au tri sélectif de nos déchets ménagers. Le volume des emballages est trop important par rapport à nos épluchures. Nous sommes coupables de mal acheter. C’est de notre faute si nous ne savons pas choisir d’autres produits que ceux que l’industrie nous vend.

On dit que Diana a été assassinée.
Toutes les chaînes de télé diffusent des documents pour accréditer la version du complot.
Les librairies dégueulent de bouquins à l’appui de cette thèse.
On dit aussi que le vice-président Johnson est le commanditaire de l’assassinat de Kennedy.
Un film télé nous explique que Dominici n’a pas tué, il aurait été victime d’un complot.

La télé nous inonde d’images du pape en voyage. Il fait peine à voir. On dirait un candidat de Kholanta au bout du rouleau, gélatiné par la fatigue. Le vieil homme tremble de partout. Son visage a le teint d’un embaumé vivant.

L’industrie du disque a sorti des chansons inédites de Jacques Brel. Il les avait jugées insuffisamment travaillées pour être livrées au public. Maintenant qu’il est dans la tombe, on peut faire ce qu’on veut. L’une d’elle passe en boucle à la radio. Elle dit que l’amour est mort. À la fin, même le vieillard de Rome aurait envie de se suicider.

Le monde est devenu un enfer paranoïaque et hypocondriaque. La théorie du complot fait vendre des images et du papier, le catastrophisme est devenu un produit de grande consommation. Alors, dans cette atmosphère sombre et morbide, culpabilisé, le moral mis en berne, j’ai cauchemardé : Sulitzer entrait à l’Académie française, Christine Deviers-Joncour était élue Marianne de l’année et Alain Madelin avait été élu président de la République.

Et dans cette ambiance dépressive, le premier ministre de la France déclare : ” Il n’y aura pas de reprise économique si les Français ne retrouvent pas le moral. “
En voilà au moins un qui nous donne envie de sourire…

Messier est servi !

Sous la présidence d’André Santini, député-maire d’Issy-les-Moulineaux, le jury du prix Iznogoud récompense chaque année, je cite : « une personnalité d’une grande notoriété qui a tenté de devenir calife à la place du calife, s’est vantée et a échoué dans son entreprise ».

Le choix du jury, notamment composé de Roselyne Bachelot et du dessinateur d’Iznogoud Jean Tabary, s’est porté cette année sur… Jean-Marie Messier pour l’ensemble de son œuvre universelle.

Ayons une pensée pour tous les employés du groupe Vivendi qui ont dû se réjouir à l’annonce de cette petite récompense bien méritée, eux à qui on aura refusé une augmentation de 10 euros par mois (ça existe) au prétexte que leurs prétentions risquaient de mettre en péril la bonne santé de l’entreprise ; alors que peu de temps avant une éviction prévisible, leur patron s’octroyait une augmentation de salaire de 128 % sur la base d’une rémunération qu’il serait indécent de rappeler ici par ces temps de grosse chaleur…

Dans la France d’en bas, on connaît peu de commerciaux à qui on proposerait une augmentation de salaire de 128 % au regard d’une chute de 77 % de leur portefeuille. C’est pourtant dans ces proportions-là que la France d’en haut se gratifie.

Comme l’ancien patron d’Air Lib qui, à peine nommé président pour redresser une entreprise en difficulté, s’est octroyé une « prime de bienvenue » de 800 000 euros ! C’est ce qui s’appelle voler de ses propres zèles.

Comme l’ancien patron d’Elf qui, venant à peine de signer sa lettre de démission, court s’acheter l’après-midi même pour 80 000 F de mobilier de jardin avec la carte bleue de l’entreprise qu’il avait « oublié » de rendre. Il dira au juge que c’était une « inadvertance » de sa part, que c’était une habitude et qu’il n’avait pas encore pris conscience qu’il n’appartenait plus à l’entreprise. Une entreprise où l’on doit encore trouver un sous-califougasse qui rationne les gommes et les crayons au petit personnel pour maîtriser ses frais de gestion. Non, mais !

Ayons également une pensée pour toutes les têtes de collaborateurs compétents que le califounet Messier a dû couper pour atteindre la puissance convoitée. C’est que tout patron qui veut se donner rapidement et artificiellement de l’envergure doit nécessairement tuer des gens sur son passage, des hommes et des femmes plus compétents que lui, plus loyaux, plus intègres, pour arriver à imposer un jour sa propre expérience de l’incompétence. Le principe de Peter exige quelques sacrifices.

Hélas, le sort s’acharne sur califournouille. Le tribunal de grande instance de Paris vient de mettre sous séquestre l’indemnité de départ de 20,6 millions d’euros qu’un tribunal artibral américain lui avait récemment accordé. Tout le monde compatira à cette petite misère financière car chacun sait l’importance d’avoir un petit pécule devant soi quand on s’apprête à passer l’été au camping de la plage avec sa petite famille.

Et voici que l’APPAC, association de défense des actionnaires, porte plainte contre X pour abus de bien social concernant les salaires de 2002 et les indemnités de départ de Vivendi Universal du califourchon. Un montant exagéré de la partie variable de la rémunération d’un patron, au regard du résultat négatif de sa société, constituerait un abus de bien social. En 2002 en effet, pour six mois de travail à la tête de VU, Messier aurait touché 5,6 millions d’euros tandis que le groupe affichait sur l’ensemble de l’année une perte historique de 23,3 milliards d’euros.

Mais les petits malheurs du califourchette ne s’arrêtent pas là. Outre l’ouverture d’une enquête judiciaire contre X pour « publication de faux bilans » et « diffusion d’informations fausses ou trompeuses » au marché, voici qu’un de ses anciens collaborateurs, le député UMP Alain Marsaud, prend la tête d’une mission d’information de l’Assemblée nationale sur les rémunérations excessives de grands patrons du CAC 40.

Voilà ce qui arrive, cher Iznogoud, quand on s’amuse à donner un coup de calife dans le contrat.