Et Dieu créa l’infâme

Et Dieu créa l’infâme

Inutile de revenir ici sur le contenu du dernier (on espère que ce sera le dernier) livre de Brigitte Bardot (1). Quand dans le précédent elle écrivait qu’elle aurait préféré mettre au monde un chien plutôt que son fils, on ne pouvait guère s’attendre à une élévation de pensée et une amélioration du style dans un nouveau bouquin qu’on feuillette au hasard avec la même curiosité intellectuelle qui nous anime quand on jette un coup d’œil sur un dépliant publicitaire qu’un fabricant de pizzas nous a glissé dans la boîte aux lettres.

Marc-Olivier Fogiel (” On ne peut pas plaire à tout le monde “ – FR3, 12 mai 2003) a été critiqué pour avoir entraîné l’actrice, contre son gré, à parler de son livre en deuxième partie d’émission. On peut cependant juger qu’il a fait son boulot car la sortie du bouquin concomitante avec la diffusion de l’émission n’était sûrement pas innocente. L’éditeur aurait bien voulu profiter de l’impact de l’émission pour faire monter les ventes dès le lendemain, mais il n’était pas question (prudence !) de discuter du fond en prenant le risque de perdre des clients au passage. Difficile dans ces conditions de reprocher à l’animateur de l’émission dans laquelle on se présente d’entrer dans ce jeu-là et de passer cet “événement” plus marketing que littéraire sous silence.

Mais la vérité est peut-être ailleurs. Cette vérité, c’est que Brigitte Bardot ne souhaitait pas parler de son livre en dehors du cadre d’une émission littéraire. Hélas, il ne suffit pas d’élever des chats pour être un écrivain. Et de toute façon, les émissions littéraires “vendent” moins bien que ces émissions “people” dites culturelles.

Si Madame Bardot a été publiée, ce n’est pas pour ses dons littéraires, ce n’est pas pour la haute volée de ses réflexions, mais tout simplement parce que son nom suffit à vendre du papier. Exactement pour la même raison qu’on publie la prose lénifiante niveau CM2 d’une égarée de telle ou telle émission de téléréalité.

Elle dit : ” Je dis tout haut ce que tout le monde pense tout bas. “ Slogan déjà entendu, on sait d’où il vient.
On lui laisserait volontiers croire qu’il s’agit bien là de ce que le peuple pense tout bas si cela pouvait la dissuader de l’écrire.

Elle dit : ” J’ai le droit de m’exprimer. On est en démocratie. “ Certes. Il ne viendrait à l’esprit d’aucun démocrate de lui contester ce droit. Même si ce droit d’expression qu’elle revendique pour elle-même aujourd’hui était demain contesté aux autres si ses amis politiques arrivaient au pouvoir.

Tout y passe pêle-mêle et rien ne trouve grâce à ses yeux. L’architecture, la peinture, la danse, le théâtre, la littérature, les enseignants (“ils portent des baskets et ont les cheveux sales”), les Arabes et même les Français (“tous gras et moches”). Un magma d’idées préconçues, une misanthropie stupide, agressive. Le genre de propos que pourrait tenir ma concierge quand elle sort les poubelles.

Vomir n’est pas écrire. Ou si vomir c’est aussi écrire, il faudra faire des efforts.

Si on est effrayé par la misère culturelle ce qu’on lit, on ne peut s’empêcher d’éprouver malgré tout un peu de compassion pour une femme qui vit recluse dans sa propriété tropézienne et qui ne connaît plus du monde que ce qu’elle voit à la télévision (elle l’avoue). On songe alors à tous les êtres isolés comme elle qui ont abandonné tout sens critique devant la force de l’image. On pense à toutes les télé victimes rongées par la haine, abusées par l’effet de loupe de la télévision, à toutes ces hargnes militantes qui nous promettent d’autres 20 avril. Il y a bien longtemps que “la fenêtre ouverte sur le monde” intoxique plus qu’elle ne cultive. Ne regarder le monde qu’en se penchant à cette fenêtre équivaut à une tentative de suicide.


Le psychiatre interrogé a dit qu’elle s’était probablement identifiée à la souffrance des animaux qu’elle protège. Leur souffrance, c’est la sienne. Alors elle se révolte contre les autres, tous les autres, les agresseurs. Logique d’une femme blessée qui fait payer ces souffrances et qui ne s’embarrasse pas de réflexions plus approfondies.

On pense au plaisir qu’aurait pu donner son livre si elle accordait à l’humanité autant d’amour et de passion qu’elle en donne aux animaux.

 

Le bouquin a pour titre Un cri dans le silence.
Mais ce qu’on préfère chez Brigitte Bardot, c’est le silence.

Un chapelier qui se piquait d’écrire présenta un jour son manuscrit à Voltaire. En lui restituant son œuvre, Voltaire l’accompagna de ce conseil : “Faites des chapeaux, Monsieur, faites des chapeaux.”
Brigitte Bardot, elle aussi, devrait limiter son talent à la protection des bébés phoques.


(1) Le manuscrit a été refusé par plusieurs éditeurs, dont Albin Michel, pour être finalement accepté par le comité de lecture (Pan !) des Éditions du Rocher qui sait apprécier la belle littérature…

NB : en consolation, on lira le livre (dont personne ne parle et c’est normal de nos jours) de Marianne Gray consacré à Jeanne Moreau (Éditions du Nouveau monde). Jeanne Moreau, véritable star à mon goût – et là pour une fois on peut employer le mot à bon escient –, femme élégante et d’élégances, de culture, on se souvient de son passage il y a quelques années chez Pivot où elle était intarissable sur la littérature allemande.

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