L’avocate accordéoniste se fait remonter les bretelles
Valérie Faure est avocate au barreau de Bergerac. Dans ces heures de détente, son plaisir est de jouer de l’accordéon avec son mari sur les marchés. Elle a été sommée de s’en expliquer devant le conseil de discipline de l’ordre des avocats qui considère que ce loisir musical porte atteinte à la dignité de la profession. “jouer de l’accordéon dans les rues est indigne et ridiculise toute la profession” (sic), dit l’un des accusateurs.
Je peux le comprendre : accordéoniste amateur moi-même, je n’ai pas fait d’études de droit, considérant que la profession d’avocat était indigne d’un musicien.
Le souffle est léger pour le moment, presque imperceptible. Mais observons bien le mouvement de la société au travers même de la petite actualité comme ce fait divers qui peut paraître anecdotique et faire sourire. Nous sommes sous le souffle d’un évangélisme exterminateur de nos libertés individuelles. Profitant d’une série d’interdits dont la société aurait besoin pour se remettre en ” ordre ” (c’est un autre débat), les lobbies intégristes de toute nature en profitent sournoisement pour imposer les leurs selon l’idée qu’ils se font du politiquement correct. À ce rythme, on peut se demander si dans quatre ou cinq ans les étudiants ne descendront pas dans la rue en criant qu’il est interdit d’interdire…
Il me semble qu’un grand ténor du barreau avait été inquiété, il n’y a pas si longtemps, dans une affaire de tableaux. Je n’ai pas entendu le conseil de l’ordre crier à l’indignité. Quand Me Verges, dans l’une de ses habituelles provocations, pose nu dans sa baignoire devant les photographes d’un grand magazine, personne ne parle d’indignité de la profession.
Soyons honnêtes. Ne profitons pas du cocasse de la situation en faisant mine d’ignorer le vrai motif de mécontentement. Ce que le conseil de l’ordre reproche officiellement à l’avocate, ce n’est pas tant de jouer de l’accordéon dans les rues, mais de déposer à ses pieds l’étui de l’instrument ouvert, permettant aux passants d’y jeter une petite pièce. Le conseil assimile cette situation à de la mendicité et là se trouverait la fameuse indignité. La jeune femme proteste en disant qu’il n’y a pas mendicité puisqu’elle offre une prestation en échange. Quand on choisit comme instrument le piano du pauvre, il n’est pas étonnant que la mendicité l’accompagne.
Giscard jouait de l’accordéon et nul n’a jugé qu’il portait atteinte à la dignité de la présidence de la République. Et qu’on ne vienne pas me dire qu’il ne s’agissait pas de mendier des voix. Bill Clinton jouait du saxophone sur les estrades électorales et personne n’a pensé que cette indignité portait atteinte à l’image de l’Amérique dans le monde. Il fut un temps, de nombreux hommes politiques, membres du gouvernement et parlementaires, se précipitaient dans certains shows télévisés pour chanter faux (bien avant Star Academy) . Et qu’on ne vienne pas me dire qu’il n’y avait pas là une forme de mendicité électorale.
Quand un grand maître des prétoires qui se prend aussi pour un grand écrivain trouve un éditeur pour publier ses souvenirs d’enfance dont tout le monde se fout à part quelques membres de sa famille, personne ne va lui reprocher ses droits d’auteur. Il serait prétentieux d’établir une hiérarchie artistique et de croire que l’écriture d’un livre est plus honorable que de jouer de l’accordéon sur les marchés…
Pour que le conseil de l’ordre soit saisi de cette affaire, il a bien fallu un acte de délation. Là se trouve peut-être la véritable indignité.
Mais l’indignité, c’est aussi l’avocat qui “oublie” de venir assister son client (le cas est fréquent et je l’ai vécu) à une audience. L’indignité, c’est un juge qui vous convoque à 8 heures et qui se permet d’arriver à 11 h 30, sans s’excuser, prétextant qu’il a été retenu par une affaire importante, sous-entendu plus importante que la vôtre. L’indignité, c’est un président de tribunal qui demande à votre avocat, dans une affaire grave, d’écourter sa plaidoirie (et je l’ai vécu) “parce qu’il est convié à un apéritif et qu’il ne voudrait pas le rater.” J’aurais mille fois préféré avoir devant moi un accordéoniste duquel j’aurais obtenu plus de doigté, un meilleur sens de l’harmonie et une attitude sans fausses notes, ce qui manque parfois cruellement à la justice. Sans parler de nombre d’élus politiques, avocats de professions, mis en cause dans des affaires et qui, retournés à la société civile, reprennent tranquillement leur profession… d’avocat !
La défense de l’accordéoniste est assurée par Me Collard, grand avocat médiatique et donc spécialiste des instruments à vent.