Robbe-Grillet dégomme
(Allusion à son deuxième roman Les gommes. J’explique, sinon mon jeu de mots est grillé.)
Dans Le Voyageur (Christian Bourgois Éditeur), on trouve un entretien accordé par Alain Robbe-Grillet au magazine LIRE en 2000.
Sur la littérature d’aujourd’hui : Ne pas déranger
“Aujourd’hui, un jeune écrivain se doit d’avoir un appartement, un chien, une femme , une voiture, un poisson rouge. Il veut vendre ses livres vite et en vivre bien. Et il deviendra d’autant mieux un auteur de best-sellers que sa littérature ne dérangera pas. […] La littérature est faite de littératures. Il y a la littérature qui dérange et celle qui ne dérange personne. […] On peut craindre que les jeunes écrivains ne refoulent leur capacité de dérangement. Mais ont-ils vraiment envie de déranger ? C’est peut-être notre époque qu’il faut incriminer.”
Sur l’édition : Le pognon d’abord
“Autrefois, le métier d’éditeur ne relevait pas vraiment du commerce. Le vieux Fischer, par exemple, qui est à l’origine de plusieurs prestigieuses maisons d’édition allemandes, définissait ainsi son activité : “Publier des livres dont le public ne veut pas.” Jérôme Lindon était ainsi. De nos jours, perdre de l’argent, c’est stupide. Autrefois, c’était en gagner qui était plouc !”
Sur les prix littéraires : Des navets pour des poires
[…] “Le seul objectif des prix littéraires, c’est de faire vendre des livres. […] Si les livres primés ne se vendent pas, le prix disparaît. J’ai fondé plusieurs prix, et participé à des quantités d’autres? Le premier a été le prix de Mai. […] Nous avons couronné uniquement des livres qui n’étaient ni médiatiques ni médiatisables. Et le prix a disparu tout simplement. Pourquoi le prix Médicis a survécu ? Parce que nous couronnons au moins une année sur deux un navet vendable.
On fonde un nouveau prix parce qu’on trouve que les autres ne couronnent pas assez de livres intéressants. C’est comme cela que le Renaudot a été créé, en réaction contre le Goncourt, le Médicis contre le Femina. On commence donc par choisir des livres difficiles et intéressants. Mais on s’aperçoit très vite qu’il ne faut pas exagérer !
Autre problème : la plupart des jurés de bonne valeur littéraire ne tiennent pas le coup. Il faut une sacrée dose d’énergie vitale et d’humour pour résister aux réunions d’un prix littéraire. […] Il faut aussi supporter, évidemment,la pression des grands éditeurs. […] La seule chose que je regrette, c’est que, contrairement à ce qu’on entend dire, on ne nous paye pas. […] Il y a seulement tout un jeu d’amitiés, et souvent pour son propre éditeur.”
“… nous couronnons au moins une année sur deux un navet vendable.”
Et c’est ainsi que la France littéraire s’emmerde.