Un flocon de neige au soleil
Extrait
Être père, c’est peut-être un talent qui s’improvise tous les jours
Je me suis assis sur le muretin qui bordait les jardins de la clinique. Le jour de l’accouchement avait été programmé de longue date, d’après une bonne disposition lunaire. Kathleen fut placée sous perfusion pour provoquer les contractions. Le médecin – que je n’avais toujours pas réussi à rencontrer et qui n’avait pas cherché non plus à me voir – espérait une sortie de couche naturelle sans écarter la nécessité de recourir à une césarienne.
![]() J’ai alors trouvé refuge sur mon îlot de verdure, assis sur un muret, les jambes pendantes du côté de la rue, près d’un arrêt d’autocars, solitaire et aussi indésirable qu’un rogaton repoussé au bord de l’assiette. À un moment, une femme s’est approchée de moi : “Vous attendez le bus, vous aussi ? – Non Madame, j’attends un enfant.”
J’étais en train de devenir père, dans une souffrance qui n’était pas la mienne, les jambes pendantes, abandonné à l’oisiveté de celui qui attend un bus. Dans une heure, un enfant viendra au monde et, déjà, ouvrira les yeux sur une absence. J’allais être père dans une heure et je ne savais de la chose que le poids d’une privation. Ce défaut de référence ne m’inquiétait pas, je ne cherchais pas un modèle à reproduire, pas même une méthode illusoire, mais simplement une manière paternelle d’exister. J’improviserai, je me laisserai porter par cette perception sensible qui devine tout sans poser de questions et sans rien expliquer. Être père, c’est peut-être un talent qui s’improvise tous les jours. |