Archive dans septembre 2001

Mardi 11 septembre 2001

“Que deviennent et que m’importent l’humanité, la bienfaisance, la modestie, la tempérance, la douceur, la sagesse, la piété, tandis qu’une demi-livre de plomb tirée de six cents pas me fracasse le corps, et que je meurs à vingt ans dans des tourments inexprimables, au milieu de cinq ou six mille mourants, tandis que mes yeux, qui s’ouvrent pour la dernière fois, voient la ville où je suis né détruite par le fer et par la flamme, et que les derniers sons qu’entendent mes oreilles sont les cris des femmes et des enfants expirants sous des ruines, le tout pour des prétendus intérêts d’un homme que nous ne connaissons pas ?”

Voltaire
Le Dictionnaire philosophique, été 1764

 

L’annonce faite à Marie-Rose

J’ai vu à la devanture d’une pharmacie cette publicité pour un produit anti-poux : “Si votre enfant se gratte la tête, inspectez sa chevelure.”
Il n’y a pas si longtemps, quand on voyait quelqu’un se gratter la tête, on l’imaginait cherchant une idée.
Mauvais signe des taons, aujourd’hui la progression des intelligences sera plus… lente.

La dernière blague de Philippe Sollers

Philippe Sollers a déploré sur France-Inter que les gens (entendez les petites gens, c’est-à-dire autres que Lui) se lancent dans l’écriture et polluent les éditeurs de tonnes de papiers sans s’être auparavant assurés d’une solide culture littéraire. “Les morts nous surveillent”, menace-t-il.

Évidemment, je ne suis pas opposé à cette nécessité d’une culture littéraire (sans parler pour autant de “vaste culture”), mais je ne suis pas convaincu qu’elle seule suffise à fabriquer de bons écrivains. La culture littéraire est une chose, l’écriture en est une autre.

On peut posséder une “vaste culture” gastronomique, fréquenter les meilleures tables, et se montrer incapable de cuire correctement deux œufs au plat.

La culture littéraire, si elle n’est pas dépassée, voire oubliée parfois, au moment de l’écriture, peut même conduire à l’imitation. Bon nombre de gens cultivés finissent par écrire “à la manière de” et sont impuissants à donner la moindre fibre de leur propre personnalité.

Je trouve une différence entre l’acquisition et l’entretien d’un champ de connaissances et la pulsion d’écrire qui exige de vous vider de vous-même, à mettre tout de votre être sensible et physique jusqu’à l’épuisement. Il y a quelque chose de sexuel dans l’écriture, tout le monde le sait.

Sans un talent personnel quasi inné, un talent d’orfèvre, on court le risque d’être terriblement ennuyeux et de n’être compris que par un cercle d’initiés.
Pour certains (suivez mon regard), les références culturelles sont bien commodes : elles permettent de briller avec l’esprit des autres.

Sans contredire Guide qui, dans Conseils à un jeune écrivain, réprimandait les jeunes auteurs soucieux de ne pas trop lire pour ne pas abîmer leur style, il faut veiller à ne pas perdre sa fraîcheur et sa spontanéité dans ce don de soi que l’on fait à la page blanche. Il faut apprendre aussi à délester sa culture et se laisser aller.
Si les morts nous surveillent, prenons garde qu’ils ne nous censurent pas.

Dans la même émission, Philippe Sollers révèle qu’il a proposé à Jean-Marie Messier que Vivendi Universal rachète ses manuscrits, de son vivant, au prix atteint par Le Voyage au bout de la nuit de Céline, c’est-à-dire 12 millions de francs !
Rien que ça ! Dis-moi, t’aurais pas les chevilles qui enflent mon grand ? “Pour Vivendi, ce serait une goutte d’eau ; pour moi ce serait le moyen de continuer à écrire dans un certain luxe.”

Sollers jaloux de Céline ! Il est vrai que quelquefois, Sollers, c’est Voyage au bout de l’ennui.

Fais gaffe Sollers, les morts te surveillent aussi !
Et il se pourrait bien que Céline (refusé en son temps par Gallimard si je ne m’abuse…) vienne un soir dans ton lit chatouiller tes augustes orteils.

Si ma petite culture littéraire ne me trompe pas, à ses débuts, au temps de Tel Quel, Sollers était maoïste, cassait du bourgeois et voulait révolutionner la littérature. Il n’est pas gêné aujourd’hui de fricoter avec Messier, symbole du capitalisme, pour lui réclamer un peu de pognon. Je suis sûr qu’il ne déplairait pas à Sollers que l’on gomme parfois certaines réminiscences de notre petite culture littéraire et historique…

À moins que cette révélation soit là sa dernière blague de sacré farceur.
À se taper sur les cuistres.