Les éditions Fayard publient Aller-retour, tous frais payés, le dernier roman de Christine Arnothy.
Sur les vingt-deux lignes de texte en quatrième de couverture, on ne trouve pas moins d’une dizaine de clichés littéraires ! Une concentration d’expressions toutes faites et de lieux communs que l’on ne doit même pas rencontrer dans les plus mauvaises copies des ateliers d’écriture où pourtant “Aux premières lueurs de l’aube, les champs de blé ondulent sous les caresses d’un léger alizé pendant que carillonnent les cloches de la délicieuse petite chapelle du charmant village voisin.”
Épargnons-nous le texte entier, contractons plutôt la précieuse collection :
“À la terrasse d’une pâtisserie, un veuf séduisant couvre de compliments la serveuse d’une grande beauté, une rebelle de vingt ans. Étonnée par ses déclarations véhémentes, elle garde plus que jamais ses distances. Puis le veuf fait connaissance de la mère de la serveuse, une jolie divorcée de quarante ans. Il l’invite avec sa fille à Paris, sous prétexte d’une amitié à nouer. L’approche est plus que convenable. Un amour va naître.“
En vente dans toutes les gares.
Veuf séduisant : pour dire d’un veuf qu’il pourrait éventuellement encore servir. Juxtaposition maintes fois rencontrée, comme s’il était indispensable de corriger cette idée d’un veuvage qui serait nécessairement l’équivalent de vieillesse et donc de dégradation physique.
Couvrir de compliments : expression multi-usages. On peut aussi couvrir de baisers, d’injures et d’opprobre.
Grande beauté : le type même d’expression qui ne veut rien dire. La beauté, on sait à peine ce que c’est. On n’a rien dit de plus en parlant de “grande beauté”.
Rebelle de vingt ans : signe extérieur de jeunesse depuis Rimbaud.
Garder ses distances : comme sur l’autoroute.
Jolie divorcée : comme “veuf séduisant”. Toute divorcée se doit d’être “jolie” pour prouver à la société que c’est elle qui est partie et qu’elle n’a pas été plaquée à cause d’un vilain bouton de fièvre.
Nouer une amitié : comme on noue sa serviette ou les lacets de ses chaussures.
Plus que convenable : Coluche aurait pu le dire : “Convenable, je sais ce que c’est, c’est convenable. Mais plus que convenable, je ne sais pas, ça vient de sortir.”
L’amour qui naît : (à ne pas confondre avec l’amour kiné importé de Thaïlande). Il y a des littératures qui gagneraient à accoucher sous X.
Ne jetons pas trop rapidement la pierre (cliché !) à l’auteur du roman en lui collant sur le dos (cliché !) cette négligence de style, bien qu’on puisse espérer qu’elle y a quand même jeté un coup d’œil (cliché !) avant d’en autoriser l’impression. Une occasion ratée de renvoyer le plumitif à ses chères études (cliché !). Mais on a froid dans le dos (cliché !) en pensant que ce texte a peut-être été rédigé par une direction littéraire. Barthes y chercherait vainement le grain de voix qui annonce un plaisir littéraire.
Tout est question de dosage. L’abus d’images tue le texte ou, tout au moins, noie le sens du texte. Écrire à coup de clichés et de lieux communs, c’est écrire avec la plume des autres. C’est porter en soi l’ambition d’un grand chef en se laissant aller à une cuisine de cafétéria. C’est piocher dans le patrimoine linguistique du café de la poste pour combler le vide de son inventivité. C’est Jean-Paul Gaultier qui puiserait son inspiration chez Kiabi.
Il s’agit moins ici de jouer les Cerbères (cliché !) de la langue que de sauter sur l’occasion (cliché !) pour épingler et mettre en boîte (cliché !) ces censeurs de manuscrits que sont les grands éditeurs culturels, d’habitude si exigeants avec les textes qu’ils reçoivent et, preuve est faite, si peu regardants avec ceux qu’ils publient. A croire qu’ils ne lisent ni les uns ni les autres.
L’édition soigne en principe cette quatrième de couverture. Le premier geste mécanique de tout lecteur est de retourner un livre pour la lire. Sa fonction commerciale est de séduire le futur lecteur en lui donnant un aperçu du plaisir qu’il aura à entrer dans le texte. Dans notre exemple, cette façon scolaire de s’exprimer retire toute intention qu’on aurait eue d’acheter un roman dont le sujet apparaît du coup extrêmement banal et ennuyeux comme la pluie (cliché !).
Cette rédaction (ne parlons pas ici d’écriture) est un modèle des pièges à éviter dans le traitement de la langue. Les enseignants devraient l’utiliser en échantillon de démonstration auprès de leurs élèves pour les éveiller à la vigilance dans l’acte d’écriture. Ils apprendraient à se méfier de la phrase qui vient toute seule sous la plume, qui s’invite sans crier gare (cliché !), à travailler leur texte et le travailler encore. A moins que l’ambition littéraire aujourd’hui ne soit pas plus élevée que celle de ma concierge quand elle rappelle ses locataires à l’ordre sur le tri sélectif.
Charles Dantzig définit ainsi le cliché littéraire : “Mot ou locution d’origine artistique, formant image, et qui est répété sans réfléchir.” (la Guerre du cliché, les Belles Lettres, 1998). Si l’expression toute faite est à fuir comme la peste(cliché !) si l’on ne veut pas écrire comme un pied (cliché !) ou comme un cochon (cliché !), elle peut toutefois s’admettre dans certains cas. On peut fermer les yeux (cliché !) devant un cliché littéraire ou un lieu commun si le texte le justifie. On peut l’employer délibérément si l’usage abusif du lieu commun fait partie de la construction du personnage ou dans un dialogue pour être plus proche de la langue parlée, ou par volonté de décontracter le propos. On peut aussi s’amuser à tordre le cou à un cliché pour le dépoussiérer, le détourner de son sens habituel, le rendre plus original, et finalement se l’approprier.
Ouvrons la presse d’aujourd’hui :
“Le commerce tisse sa toile…“
“Budget de la ville : la sécurité se taille la part du lion.”
“Les panneaux publicitaires sur les panneaux publicitaires qui fleurissent à l’entrée des villes.”
Page des sports : “Le match a été mené d’un pas de sénateur.“
L’abondance de clichés n’est ici pas gênante. Ce n’est pas de la littérature, c’est de la presse. Le titre doit accrocher le plus grand nombre de lecteurs, tous niveaux confondus, en les interpellant quelque part (cliché !). Plus le cliché est usé, plus il gagnera en efficacité. L’image sert ici à frapper rapidement l’attention sur le fait essentiel que l’article va développer. Si le lecteur de journal recherche une qualité d’information, des faits sérieux et vérifiés, une rédaction simple, courte et claire, il ne s’attend pas à y trouver une hauteur littéraire qui n’aurait de toute façon pas sa place dans ce contexte. Le journalisme n’est pas la littérature, c’en est même le contraire.
Mais l’usage Du cliché journalistique peut friser le ridicule (cliché !). Tel ce journaliste de télévision qui, le soir d’une élection, eut ces mots : “Les résultats devront être auscultés à la loupe.” Autres bijoux du prêt-à-porter rédactionnel et du journalisme sans peine quand, neuf fois sur dix, tout article de presse, commentaire de radio ou de télévision rapportant une catastrophe, se termine par cette phrase : “L’espoir de trouver des survivants s’amenuise au fil des jours.” Ce qui pourrait être le titre d’un livre sur l’avenir de la littérature !
Ce qui est supportable dans la presse l’est beaucoup moins en littérature où il semblerait que beaucoup succombent à la tentation (cliché !), cédant par facilité à une mauvaise habitude qui fait tache d’huile (cliché !). Prenons un livre sur l’étal du libraire et ouvrons-le au hasard. Quand je lis : “Du sang espagnol coule dans mes veines” (cliché !), la disparition de Nougaro me remet en mémoire ce que lui écrivait : “Est-ce l’Espagne en toi qui pousse un peu sa corne ?” Sur le traitement d’une idée assez proche, voilà la différence de style entre un simple rédacteur issu de la téléréalité (ce qui justifie aujourd’hui le mérite d’être publié chez Robert Laffont aux côtés de Jean d’Ormesson) et un auteur véritable.
En couverture du bouquin de Christine Arnothy, un sac et une valise posés au sol. C’est la littérature qui se fait la malle (cliché !).