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Faut pas prendre les enfants de Bourdieu pour des connards sauvages

On se préoccupe beaucoup, en ces dernières heures de campagne électorale médiatique, de savoir dans quel état d’épuisement les candidats vont terminer cette première partie de l’épreuve. On devrait plutôt s’inquiéter de savoir dans quel état d’expectative lassée vont finir les électeurs.

Il est probable que le citoyen assidu finira cette aventure écroulé sous les sondages, surveillant la fluctuation des points comme au concours de l’Eurovision, alors qu’on dénombre 18 millions d’indécis, ce qui relativise quand même les calculs. Quant aux médias, ils auront passé plus de temps à publier, commenter et décortiquer les sondages qu’à nous proposer de sérieuses analyses comparatives des différents programmes.

Les débats de fond contradictoires n’ont pas eu lieu. Les candidats les plus en vue en sont responsables ; les autres, plus batailleurs, étaient pourtant prêts à en découdre. Les deux candidats désignés comme principaux par les sondages ont refusé la confrontation, Ségolène Royal, invitée par des journalistes, ne s’est pas toujours rendue aux rendez-vous.

On l’a surprise maintes fois à infantiliser son auditoire, des journalistes aussi, selon une vieille méthode de management qui n’est qu’une défensive et qui se répand de plus en plus dans notre société.

Par crainte d’être interrogés sur la politique étrangère de la France pour les cinq années qui viennent, par exemple, les postulants ont préféré répondre à des magazines de troisième ordre pour dire ce qu’ils pensaient des… animateurs de télévision. Même François Bayrou a donné une interview à un magazine canin. On rêve.

 

Remettre la France au travail. Au noir ?

On attendait aussi que de vrais journalistes d’investigation, indépendants, libres, aillent contre-enquêter scrupuleusement les affirmations du Canard enchaîné à propos des supposées affaires immobilières et fiscales de deux candidats. Mais ces enquêtes, légitimes en démocratie quand règne une réelle liberté de la presse, n’ont pas eu lieu ou ont été étouffées. Deux candidats s’étaient engagés à publier leur patrimoine, ils ne l’ont pas fait. Dans une semaine, le ou la candidate élu (e) pourra se couvrir derrière la Constitution pour ne pas répondre aux questions dérangeantes.

Beaucoup de Français ont apporté leurs commentaires sur ces sujets et nombreux ont jugé qu’on avait tort de s’attarder sur ces questions et de persécuter les candidats. C’est que la fraude, sport national français, a aussi ses supporters. Et on a probablement tort de réclamer un peu de lumière sur l’intégrité de ceux qui nous donnent des leçons de morale et qui veulent nous remettre au travail, nous qui n’avons jamais cessé d’y être pour ne mériter que les placards que nous réservaient des patronnets psychopathes, des privations d’augmentations de salaire et pire que tout, une absence totale de reconnaissance du travail réalisé.

 

Les grands et les petits

Dans notre pays démocratique, nous avons entendu aussi qu’il y avait des grands et des petits candidats, au contraire du principe d’égalité proclamé par la République. Un petit candidat est un candidat dont on estime qu’il a peu de chance d’être élu. Comment le sait-on ? Par les instituts de sondages. Des sondages qui font donc un premier tri démocratique pour nous dispenser de trop réfléchir.

On a pu remarquer aussi que les journalistes étaient pleins d’égards et de condescendance pour les candidats principaux quand ils les interrogeaient, et prompts à la raillerie anecdotique devant les autres sans intention d’entrer vraiment dans leur programme.

Si j’avais eu la malencontreuse idée de présenter ma candidature, j’aurais élaboré depuis longtemps un programme bétonné et peaufiné dans les moindres détails avec une vision de l’évolution de la France pour les années qui viennent. Mais comment attendre des candidats une mise en perspective qui n’existe même plus dans les entreprises ? Pour exemple, la mienne, où le grand calife vient brutalement de s’apercevoir que la presse écrite était en perte de lectorat et que l’avenir était sur Internet, ce que j’avais déjà compris il y a 7 ans en créant ce site…

À écouter les candidats en lice, on a eu l’impression qu’il existait certes un socle d’idées, mais que le véritable programme se construisait à la hache au jour le jour, de meeting en meeting, d’interview en interview. Avec les inévitables dérapages de la parole intensive, trop sollicitée pour le seul objectif de distribuer des mots. Je ne suis pas sûr que les militants socialistes, par exemple, aient beaucoup apprécié de voir leur candidate se détacher du programme du parti (elle l’a dit) pour imposer ses propres vues après leur avoir fait le coup de la fameuse « démocratie participative ». Curieusement, alors qu’ils avaient promis juré leur soutien, les « éléphants » du parti ont été bien timides ou écartés. Même un Jack Langue s’est fait très discret, ce qui n’est pourtant pas son habitude. En cas de victoire au deuxième tour, on les verra quand même sur les plateaux de télévision pour se féliciter, comme ils se le doivent.

Pour les deux candidats principaux, la démagogie enflammée a pris souvent le pas sur la Raison et la sincérité. Ségolène Royal aurait-elle eu à s’exprimer devant une assemblée de lanceurs de nains qui se seraient plaints d’une pénurie de munitions, qu’elle leur aurait promis aussitôt de doubler le nombre de nains en France.

 

Soutiens d’outre-tombe

De son côté, Nicolas Sarkozy s’est appuyé sur des références historiques et littéraires prestigieuses, mais inattendues de sa part, sans doute pour faire oublier des soutiens culturels comme Doc Gynéco et Steevy Boulay du loft. Après nous avoir fait croire qu’il connaissait par cœur la lettre émouvante de Guy Moquet, le voilà qui fait un tour de cimetière vite fait à Colombey-les deux-églises pour se faire filmer longuement, de face, de profil et de dos, seul, devant la tombe du Général et devant l’immense croix de Lorraine. Pas mis en scène du tout.

Puis le voici qui reprend ses références en déclarant cette fois son admiration pour Jean-Paul II. Sait-on jamais, l’intercesseur miraculeux auprès de Dieu pour guérir les tremblements de Parkinson pourrait bien faire quelque chose au prochain scrutin. On a beau s’être prononcé pour l’égalité des chances et contre la France du piston, on ne va pas tout de même pas se priver d’un miracle.

 

Giscard au Panthéon ?

Giscard trahit sa famille politique d’origine et rallie le clan qui a manigancé sa défaite en 81, un dégagement politique qu’il a lui-même révélé dans son dernier livre. C’est que, voyez-vous, l’âge de Monsieur est avancé et qu’il vaut mieux caresser tout de suite dans le sens du poil le pouvoir probable de demain. Ce collectionneur de titres, d’avantages et d’honneurs a sûrement déjà mis au point le scénario de son entrée majestueuse au Panthéon que ce pouvoir-là ne saura lui refuser. Qu’il se rassure, il doit rester environ trois cents places, en se serrant un peu.

 

La présidence de la République est-elle inscrite dans les gènes ?

On se souvient que la mère de Giscard, en 1974, nous assurait à la télévision que son fils était prédestiné à être président de la République à cause de son profil napoléonien qu’elle était seule à voir. Nul doute que Nicolas Sarkozy n’est pas loin de penser à cette prédestination et que Ségolène Royal lui emboîte l’idée. La question se pose alors de savoir si la présidence de la République ne serait pas inscrite dans les gènes. On pourrait très bien imaginer une détection précoce dans les maternelles comme certains voudraient le faire bientôt pour les comportements violents. Le plus délicat, c’est qu’on risquerait de rencontrer des troubles du comportement, une sorte d’autocratie précoce, chez certains enfants reconnus pourtant comme potentiellement aptes à gouverner les autres…

 

La farce tranquille

Après avoir changé plusieurs fois de slogans au cours de la campagne Ségolène Royal, qui visiblement décide seule, se fixe désormais sur “la France présidente”. Et voilà que Jacques Séguéla trouve ce slogan extraordinaire et remarquable… Alors que ce slogan aurait pu être l’invention de n’importe quel stagiaire d’Havas. En réponse à cette admiration dévote, Ségolène Royal en rajoute et lance sur une tribune qu’elle est la “Force tranquille”, slogan dont le même Séguéla est l’auteur !

 

Elections : le salon de l’auto… crate

Comment faire le tri entre le fond qui va engager la France et les artifices de la société du spectacle ? Les stratégies de récupération, on les devine, on les lit sur les lèvres et dans les regards. Les petites phrases, on les décode. Les hésitations, on les voit. Les comportements autocrates, ils nous aveuglent et ne nous rassurent pas. C’est qu’il y a ceux qui vendent nos cerveaux disponibles à Coca-Cola et ceux qui nous ont appris à le rendre disponible pour être un meilleur citoyen, avisé, plus averti dans la lecture des codes et donc moins crédule.

Faudrait pas prendre les enfants de Bourdieu pour des connards sauvages.

Une idée mise… en saine

Quand Serge Dassault, PDG de la Socpresse (70 titres), est devenu majoritaire au Figaro, il s’est vivement déclaré pour une « information saine » : « Les journaux doivent diffuser des idées saines. » 

Pressé de s’expliquer par les journalistes de France Inter sur ce qu’il entendait par « idées saines », il eut cette définition : Une information saine, c’est une information qui n’est pas de gauche . Ou encore : «  C’est les idées qui font que ça marche. Par exemple, les idées de gauche sont des idées pas saines. »

Le grand débat d’idées dans une démocratie veut qu’il y ait confrontation de points de vues différents et, en définitive, c’est cette friction des idées, aussi respectables les unes que les autres, qui fait en principe avancer les choses. Qu’il y ait dans la presse des commentaires orientés à gauche ou à droite – dans la mesure où l’on accepte que tout fait mérite cette interprétation simpliste des choses – soit. Mais une information c’est une information, des faits et rien que des faits.

Voici donc une information saine que je donne en exclusivité. Vous ne l’entendrez aujourd’hui nulle part, ni à la radio ni à la télévision, et elle ne fera l’objet d’aucune ligne dans aucun journal :

« Aujourd’hui dimanche 24 septembre 2006, Charles Pasqua n’a pas été mis en examen. »

Voilà donc une information saine, positive, conforme aux rêves idéologiques de Serge Dassault. Et effectivement, c’est une information de droite. Serge Dassault avait donc raison. À cette seule réserve, c’est que le dimanche les palais de justice sont fermés et il n’y a qu’une permanence…

Mais il est vrai que la limitation du temps de travail est une idée de gauche. Comme quoi une idée malsaine peut aussi avoir une incidence positive au profit de gens supposés n’avoir que des idées saines…

Toute syntaxe comprise

TF1, L’île de la tentation. Un jeune candidat pleurnichard hystérique décide de quitter le jeu, constatant son incapacité pathologique à vivre sans sa dulcinée à ses côtés. Il s’en explique auprès d’elle, aussi liquide que lui, pour l’inciter à accepter son retrait après une argumentation aussi claire qu’un cours de Lacan si l’on s’amusait, de surcroît, à placer les mots dans le désordre.

Les deux fontaines vivent un amour « fusionnel » à tendance lacrymale (quand j’entends le mot fusionnel je sors mon tisonnier) et la fille, sans doute habituée à la syntaxe hasardeuse du monsieur, ne semble pas déboussolée pour autant. A l’issue de sa supplique, il se jette à genoux aux pieds de la belle pour la demander en mariage. Il lui lance alors cette phrase, délicieuse à entendre pour la jeune femme mais ô combien cruelle pour la langue de Molière :

« Depuis que je suis tout petit, je rêve d’aller chercher ma princesse dans mon grand cheval blanc auquel j’apporterai tout le bonheur . »

Par chance, la fille ne lui a pas envoyé une avoine. Quant à la syntaxe, elle lui en veut toujours de s’être montré aussi cavalier…

Titre resté en indécision…

À quelques jours du référendum, une phrase étonnante revient dans la presse d’aujourd’hui : « Ce sont les indécis qui vont faire la décision. »

Merveilleuse langue française, subtile jusqu’à la contradiction. Ainsi, l’opinion de l’indécis devient précieuse par le seul fait qu’il n’en a pas. Le pouvoir de l’indécis, c’est de ne pas se décider à en user.

On saura dimanche avec certitude que la certitude d’une Europe nouvelle mais incertaine sera née d’une incertitude. Les indéterminés auront pesé de tout leur poids en affirmant leur détermination.

NB : désolé, mais je n’ai pas pu me décider à décider d’un titre pour ce billet…

Poivre et seul

Hier mardi 17 mai, Journal de TF1, 20 heures. Patrick Poivre d’Arvor présente Valéry Giscard d’Estaing.

L’ancien président de la République vient commenter quelques articles du Traité constitutionnel.

A la fin de l’intervention, PPDA enchaîne, pressé par le temps, et annonce tout de go : « Ce journal est terminé. Bonne soirée sur TF1 avec le Corniaud . »

En une fraction de seconde on perçoit que le journaliste est surpris lui-même par la brutalité de la transition. Il semble subitement avoir avalé un piment fort, les yeux cherchent un endroit où se poser, il descend sous terre.

Il y a des moments dans la vie d’un présentateur où l’on doit se sentir très seul…

Paco rabâche

Souvenez-vous, je vous prends à témoin. Il avait dit : « Si ma prédiction ne se réalise pas, je me retirerai et on n’entendra plus jamais parler de moi. » Donc, Paco Rabanne revient sur vos écrans. Il doit y avoir la promotion d’un bouquin dans l’air…

Ce n’était qu’une promesse inspirée par le monde politique. Autrement dit, lui aussi tirait les conclusions de son échec et se retirait de la vie prédictive. Donc, tout naturellement, le revoilà pour nous prédire un nouveau drame planétaire annoncé cette fois pour le 11 août 2007 !

Paco remet donc le ridicule puisqu’il a pu vérifier qu’il ne tuait pas.

Comme si la perspective des présidentielles ne suffisait pas, 2007 serait-elle envisagée comme l’année de toutes les catastrophes ?

En septembre 99, le mage Paco confiait pourtant à Paris-Match : « J’ai été d’une grande naïveté… Je vis depuis le 11 août avec le sentiment d’avoir fait une chose démesurée. J’ai été en butte à beaucoup d’insultes et de déchaînements de toutes sortes. La dérision, je l’ai méritée et je ne la discute pas… Et je dis, je redis, que je le regrette… Je me suis entêté comme une mule. J’ai été pris dans un torrent. Ne me contrôlant plus, je suis allé trop vite et trop loin. »

Son fiasco prophétique de 1999 ne lui a pas servi de leçon. Que le 11 août la station Mir ne nous soit pas tombée sur la gueule ne l’a pas découragé à persister dans la voyance aveugle, la pythie qui fait pitié, le vert devin qui devrait arrêter d’en boire.

Étonnante époque où les télévisions sont prêtes à concéder de précieuses minutes d’antenne à des farfelus qui viennent nous prédire une fin du monde improbable, alors qu’en son temps, avant 2003, elles négligeaient de prendre au sérieux ceux qui alertaient sur l’inquiétante vétusté des maisons de retraite…

Bas les brosses !

Sérieux. Il paraît que dans notre beau pays, l’industrie la plus performante est… la serpillière française !

C’est quand même la moindre des choses pour une société autonettoyante qui s’aseptise si bien à coups de « politiquement correct ».

Il est vrai qu’à voir l’attitude de certains journalistes et de présentateurs télé devant la classe politique, nous ne sommes pas surpris par cette bonne nouvelle économique.

Solcarrelus, si tu nous entends, on te salue !

Nous attendons avec impatience de prochaines révélations sur les performances industrielles de la carpette et de la brosse à reluire.

Les “indéshitants” : une nouvelle race d’indéterminés !

Ce que je rapporte est authentique, je n’invente rien.

J’ai consacré récemment un billet à propos des « indécis » dont quelques commentaires de presse prédisaient qu’ils allaient faire la décision le jour du scrutin sur le Traité constitutionnel. Et voilà que jeudi soir, sur France 2, Arlette Chabot ouvre un débat politique par un sondage qui nous annonce, sans rire et sans que personne sur le plateau ne s’en inquiète : 23% d’indécis et 11% d’hésitants !

J’aimerais bien qu’un linguiste m’explique la différence d’amplitude du doute entre un indécis et un hésitant !

Plongeons-nous dans le Petit Robert pour vérifier une dernière fois avant de critiquer.

indécis, ise adj.

• mil. XVe « non jugé »; bas lat. indecisus « non tranché »

2• (Personnes) Qui n’a pas encore pris une décision ; qui a peine à se décider .

Qui ne sait pas prendre une décision, une résolution.

hésitant, ante adj.

• 1829; les hésitans subst. 1721; de hésiter

1• (Personnes) Qui hésite, a de la peine à se déterminer .

Qu’ont bien pu répondre les indécis pour mériter leur catégorie ?

— « Ce n’est pas que j’hésite mais je reste encore indécis. » ?

Qu’ont bien pu répondre les hésitants pour mériter la leur ?

— « Ce n’est pas que je sois indécis mais j’hésite encore » ?

Si j’essaye de comprendre ces questionneurs illettrés, un indécis est un électeur qui ne s’est pas encore déterminé sur une décision de vote. Soit. Et qu’un hésitant est un électeur, auparavant indécis, mais qui a fini par se déterminer alors que, peu sûr de lui, il hésite encore au point d’envisager une remise en cause de la décision qu’il avait prise pourtant quand il avait cessé d’hésiter.

Ouf !

A force de sonder, les sondeurs vont bien finir par toucher le fond…

Nouvelles précieuses ridicules et “personnes à grammaticalité réduite”

Parmi nos souvenirs scolaires, nous avons tous en mémoire les fameuses commodités de la conversation des Précieuses ridicules de Molière. La préciosité contemporaine ne craint pas non plus le ridicule pour la raison qu’elle est bien trop bécasse pour en prendre conscience.

Europe 1, 27 juillet 2004, bulletin d’informations de 6 h 30. Interview téléphonique du directeur de cabinet d’un préfet, dans une région touchée par la sécheresse, ce qui justifie des restrictions d’eau. Question du journaliste : ” Serez-vous amené à prendre des mesures plus draconiennes ? “ Réponse de l’interviewé : ” Oui, si la situation perdure en termes d’abaissement des niveaux… “
Il eut été à l’évidence plus simple de dire : ” Oui, si le niveau de l’eau continue à baisser. “ Mais cette dernière façon de parler correctement le français n’eut pas permis d’en mettre artificiellement plein la vue.

On aura noté l’insistance courante du verbe perdurer à la place de durer. Avec une syllabe de plus, le pédant d’aujourd’hui doit trouver que ça fait plus “chicos”. Or dans perdurer il y a l’idée d’éternité, de perpétuité, perdurer c’est durer jusqu’à la fin des temps. Si l’ignorance d’un ignorant chronique est appelée à perdurer jusqu’à sa mort, on peut au moins espérer que le niveau de l’eau, lui, baissera et que donc, il ne durera pas.

On imagine maintenant le dialogue du soir entre le directeur qui vient de sortir du cabinet et sa femme qui s’apprête à y entrer : 
– On baise ?
– On va dire (sic) qu’au niveau de ma libido il n’y a pas de soucis (sic), mais en termes de timing je crois qu’on n’aura pas le temps de faire perdurer les choses.

Dans la série des tics de langage à la mode, on trouve aussi le furoncle verbal “on va dire” (3 syllabes vocales et 4 dans le Midi de la France) qui remplace l’ancien disons (deux syllabes seulement). Mais comme personne n’a plus le courage de dire ce qu’il a vraiment envie de dire, on le fait dire par un on neutre qui agit au nom du transfert de responsabilité. Placée en début de phrase, la locution on va dire signifie que ce que je m’apprête à vous dire n’est pas exactement ce que je voudrais vous dire, mais que je vais vous dire quand même. Placée en fin de phrase, elle signifie que ce que je viens de dire n’a pas la franchise de ce que j’aurais voulu vous dire, mais que vous devrez vous en contenter, le soin vous étant laissé de deviner ce que je ne vous ai pas dit au travers de ce que je vous ai dit. On va le dire comme ça.

Quant à la préférence plurisyllabique du pédantisme moderne, elle correspond à une demande des nouvelles précieuses ridicules et autres éclopés du verbe. L’étalage syllabeux (appelé aussi syllabeuleubeuleu), permet en effet d’occuper le temps et l’espace quand on n’a rien de particulièrement intelligent à dire, quand on veut mettre du mascara sur son incompétence ou quand on croit qu’une grosse marguerite sur une paire de tongs fait plus smart. C’est ce qui pousse à répondre tout à fait ou complètement à la place d’un simple et trop rikiki oui.


France Inter, 6 août 2004. Un médecin est interrogé sur les risques d’une éventuelle canicule. Réponse (pour dire qu’il n’en sait rien) : ” Le problème est obscur en termes de lisibilité.”
Une seule solution pour ce médecin de Molière : apprendre le braille.

Le mot lisibilité est, lui aussi, très tendance. Il faut avoir une politique lisible, un programme lisible. Il se trouve placé en pole position avec le mot visibilité, probablement à cause d’une quasi homophonie, d’une confraternité de sens, et d’une complémentarité ophtalmologique.

Au niveau de et en termes de sont deux expressions pour lesquelles on devrait être autorisé à tirer à vue contre qui les dégaine. Deux expressions qui réveillent des pulsions meurtrières chez tous ceux qui aiment un parler clair de la langue et trouvent insupportable et abrutissant à la longue qu’on l’alourdisse inutilement pour faire du (mauvais) genre. Des tournures toutes faites que toutes les branques de la création reprennent à l’envi, au point que les conversations donnent l’impression de porter un uniforme et que la langue plie sous des bruits de bottes. Des expressions taillées sur mesures pour tous les handicapés de la construction grammaticale (doit-on dire personnes à grammaticalité réduite ?) et qui prennent la pose en n’impressionnant d’ailleurs que les illettrés, les autres n’étant pas dupes. Des infections verbales qui font florès dans la presse, le discours politique et dans l’entreprise où dix mots de vocabulaire de cet acabit suffisent aujourd’hui à ouvrir une belle carrière à n’importe quel incompétent.

Ce qui est sûr, c’est qu’au niveau du langage et en termes de préciosité, la connerie ne manque pas de lisibilité.

Tests à claques

Ne croyez pas qu’il faille passer beaucoup de temps devant la télévision pour récolter autant de bourdes, de niaiseries, et me donner matière à alimenter cette chronique.

Rien n’est plus faux. Il suffit simplement (hélas !) d’allumer son poste à n’importe quel moment de la journée ou du soir, et on est à peu près sûr de tomber sur une connerie bien copieuse. À condition toutefois d’avoir l’oreille fine et un minimum d’esprit critique.

Pour vous convaincre, faisons un test.

Samedi 17 mai 2003, 13h25, sur M6. Émission Bachelor.
Je ne connais rien de ce jeu télévisé à l’exception des bandes-annonces qui persuadent mes neurones déjà bien malmenés de ne pas regarder. La connerie est arrivée en moins d’une minute.
Une des candidates dit : ” C’est très excitant parce qu’il ne se passe rien. “

Avec cette simple phrase, la fille vient de résumer le concept d’une émission qui ne présente aucun intérêt. Son observation peut même illustrer l’état actuel de la télévision et, au-delà, un sociologue pourrait y voir une critique laconique et judicieuse de notre société du vide.

Quelques secondes plus tard, je zappe sur la Cinq. Émission On aura tout lu.
Le thème : ” Le service public : réforme impossible. “
Apparemment, le sujet est sérieux. Et voilà qu’un des invités déjante et dit : ” C’est en Bretagne que l’on obtient les meilleurs résultats scolaires, vous savez pourquoi ? Parce que c’est dans cette région qu’on a les pubis les plus développés. “

Ça ne s’invente pas.

Dimanche 18 mai, 21h15. Émission Capital
Au cours d’un reportage sur les jeunes Français qui vont travailler en Espagne, une créatrice d’entreprise dit ceci : ” C’est important quand on ouvre un centre international de trouver des gens de toutes les nationalités. “

Autre exemple. Pendant la guerre en Irak, la chaîne de télévision LUI invite un général-expert pour qu’il vienne nous expliquer ce qu’il faut comprendre des combats…

Et le général-expert (sic) déclare : “Une guerre n’est jamais gagnée d’avance. Il ne faut jamais sous-estimer l’adversaire.”

Grand silence sur le plateau devant la pertinence de cette remarquable “expertise”. Un talent pour l’évidence et une perspicacité de l’inutile. On attendait que le général-expert nous prédise que cette année Noël tombera le 25 décembre…

Et enfin, à un journaliste qui lui demandait s’il savait où se trouvait Saddam Hussein, Ronald Rumsfeld a répondu : ” Où est-il ? Soit il est mort, soit il est blessé, soit il ne veut pas se montrer.”

À moins qu’il soit parti chercher une bouteille à la cave.
Heureusement que l’on nous dit que les bombes, elles, sont intelligentes…