De l’effet additif des adjectifs adjuvants

À propos de l’inquiétude des personnels confrontés à la soudaine décision de fusionner le groupe Suez et Gaz de France, le ministre de l’économie Thierry Breton vient de déclarer : « Nous apporterons des réponses exhaustives, précises et concrètes. »

Il ne reste plus qu’à espérer que les questions soient pertinentesjudicieuses et fondées

Çonnerie aux morts…

Europe 1, jeudi 24 mai, 18 h, débat politique à propos du principe du référendum sur le Traité constitutionnel.

Le comique du jour, Douste-Blazy, ministre de la santé, se déchaîne :

« Ce moment est historique pour la démocratie. Après tout, quelles sont les personnes qui ont vécu ce moment démocratique de leur vivant  ? »

De leur vivant, je ne sais pas. Mais de leur mort, j’ai peur qu’elles ne s’en souviennent plus et qu’elles ne soient plus là pour répondre…

Qu’il est drôle ce Douste ! Il paraît que les morts n’en reviennent pas…

Titre resté en indécision…

À quelques jours du référendum, une phrase étonnante revient dans la presse d’aujourd’hui : « Ce sont les indécis qui vont faire la décision. »

Merveilleuse langue française, subtile jusqu’à la contradiction. Ainsi, l’opinion de l’indécis devient précieuse par le seul fait qu’il n’en a pas. Le pouvoir de l’indécis, c’est de ne pas se décider à en user.

On saura dimanche avec certitude que la certitude d’une Europe nouvelle mais incertaine sera née d’une incertitude. Les indéterminés auront pesé de tout leur poids en affirmant leur détermination.

NB : désolé, mais je n’ai pas pu me décider à décider d’un titre pour ce billet…

Poivre et seul

Hier mardi 17 mai, Journal de TF1, 20 heures. Patrick Poivre d’Arvor présente Valéry Giscard d’Estaing.

L’ancien président de la République vient commenter quelques articles du Traité constitutionnel.

A la fin de l’intervention, PPDA enchaîne, pressé par le temps, et annonce tout de go : « Ce journal est terminé. Bonne soirée sur TF1 avec le Corniaud . »

En une fraction de seconde on perçoit que le journaliste est surpris lui-même par la brutalité de la transition. Il semble subitement avoir avalé un piment fort, les yeux cherchent un endroit où se poser, il descend sous terre.

Il y a des moments dans la vie d’un présentateur où l’on doit se sentir très seul…

Les “indéshitants” : une nouvelle race d’indéterminés !

Ce que je rapporte est authentique, je n’invente rien.

J’ai consacré récemment un billet à propos des « indécis » dont quelques commentaires de presse prédisaient qu’ils allaient faire la décision le jour du scrutin sur le Traité constitutionnel. Et voilà que jeudi soir, sur France 2, Arlette Chabot ouvre un débat politique par un sondage qui nous annonce, sans rire et sans que personne sur le plateau ne s’en inquiète : 23% d’indécis et 11% d’hésitants !

J’aimerais bien qu’un linguiste m’explique la différence d’amplitude du doute entre un indécis et un hésitant !

Plongeons-nous dans le Petit Robert pour vérifier une dernière fois avant de critiquer.

indécis, ise adj.

• mil. XVe « non jugé »; bas lat. indecisus « non tranché »

2• (Personnes) Qui n’a pas encore pris une décision ; qui a peine à se décider .

Qui ne sait pas prendre une décision, une résolution.

hésitant, ante adj.

• 1829; les hésitans subst. 1721; de hésiter

1• (Personnes) Qui hésite, a de la peine à se déterminer .

Qu’ont bien pu répondre les indécis pour mériter leur catégorie ?

— « Ce n’est pas que j’hésite mais je reste encore indécis. » ?

Qu’ont bien pu répondre les hésitants pour mériter la leur ?

— « Ce n’est pas que je sois indécis mais j’hésite encore » ?

Si j’essaye de comprendre ces questionneurs illettrés, un indécis est un électeur qui ne s’est pas encore déterminé sur une décision de vote. Soit. Et qu’un hésitant est un électeur, auparavant indécis, mais qui a fini par se déterminer alors que, peu sûr de lui, il hésite encore au point d’envisager une remise en cause de la décision qu’il avait prise pourtant quand il avait cessé d’hésiter.

Ouf !

A force de sonder, les sondeurs vont bien finir par toucher le fond…

Nouvelles précieuses ridicules et “personnes à grammaticalité réduite”

Parmi nos souvenirs scolaires, nous avons tous en mémoire les fameuses commodités de la conversation des Précieuses ridicules de Molière. La préciosité contemporaine ne craint pas non plus le ridicule pour la raison qu’elle est bien trop bécasse pour en prendre conscience.

Europe 1, 27 juillet 2004, bulletin d’informations de 6 h 30. Interview téléphonique du directeur de cabinet d’un préfet, dans une région touchée par la sécheresse, ce qui justifie des restrictions d’eau. Question du journaliste : ” Serez-vous amené à prendre des mesures plus draconiennes ? “ Réponse de l’interviewé : ” Oui, si la situation perdure en termes d’abaissement des niveaux… “
Il eut été à l’évidence plus simple de dire : ” Oui, si le niveau de l’eau continue à baisser. “ Mais cette dernière façon de parler correctement le français n’eut pas permis d’en mettre artificiellement plein la vue.

On aura noté l’insistance courante du verbe perdurer à la place de durer. Avec une syllabe de plus, le pédant d’aujourd’hui doit trouver que ça fait plus “chicos”. Or dans perdurer il y a l’idée d’éternité, de perpétuité, perdurer c’est durer jusqu’à la fin des temps. Si l’ignorance d’un ignorant chronique est appelée à perdurer jusqu’à sa mort, on peut au moins espérer que le niveau de l’eau, lui, baissera et que donc, il ne durera pas.

On imagine maintenant le dialogue du soir entre le directeur qui vient de sortir du cabinet et sa femme qui s’apprête à y entrer : 
– On baise ?
– On va dire (sic) qu’au niveau de ma libido il n’y a pas de soucis (sic), mais en termes de timing je crois qu’on n’aura pas le temps de faire perdurer les choses.

Dans la série des tics de langage à la mode, on trouve aussi le furoncle verbal “on va dire” (3 syllabes vocales et 4 dans le Midi de la France) qui remplace l’ancien disons (deux syllabes seulement). Mais comme personne n’a plus le courage de dire ce qu’il a vraiment envie de dire, on le fait dire par un on neutre qui agit au nom du transfert de responsabilité. Placée en début de phrase, la locution on va dire signifie que ce que je m’apprête à vous dire n’est pas exactement ce que je voudrais vous dire, mais que je vais vous dire quand même. Placée en fin de phrase, elle signifie que ce que je viens de dire n’a pas la franchise de ce que j’aurais voulu vous dire, mais que vous devrez vous en contenter, le soin vous étant laissé de deviner ce que je ne vous ai pas dit au travers de ce que je vous ai dit. On va le dire comme ça.

Quant à la préférence plurisyllabique du pédantisme moderne, elle correspond à une demande des nouvelles précieuses ridicules et autres éclopés du verbe. L’étalage syllabeux (appelé aussi syllabeuleubeuleu), permet en effet d’occuper le temps et l’espace quand on n’a rien de particulièrement intelligent à dire, quand on veut mettre du mascara sur son incompétence ou quand on croit qu’une grosse marguerite sur une paire de tongs fait plus smart. C’est ce qui pousse à répondre tout à fait ou complètement à la place d’un simple et trop rikiki oui.


France Inter, 6 août 2004. Un médecin est interrogé sur les risques d’une éventuelle canicule. Réponse (pour dire qu’il n’en sait rien) : ” Le problème est obscur en termes de lisibilité.”
Une seule solution pour ce médecin de Molière : apprendre le braille.

Le mot lisibilité est, lui aussi, très tendance. Il faut avoir une politique lisible, un programme lisible. Il se trouve placé en pole position avec le mot visibilité, probablement à cause d’une quasi homophonie, d’une confraternité de sens, et d’une complémentarité ophtalmologique.

Au niveau de et en termes de sont deux expressions pour lesquelles on devrait être autorisé à tirer à vue contre qui les dégaine. Deux expressions qui réveillent des pulsions meurtrières chez tous ceux qui aiment un parler clair de la langue et trouvent insupportable et abrutissant à la longue qu’on l’alourdisse inutilement pour faire du (mauvais) genre. Des tournures toutes faites que toutes les branques de la création reprennent à l’envi, au point que les conversations donnent l’impression de porter un uniforme et que la langue plie sous des bruits de bottes. Des expressions taillées sur mesures pour tous les handicapés de la construction grammaticale (doit-on dire personnes à grammaticalité réduite ?) et qui prennent la pose en n’impressionnant d’ailleurs que les illettrés, les autres n’étant pas dupes. Des infections verbales qui font florès dans la presse, le discours politique et dans l’entreprise où dix mots de vocabulaire de cet acabit suffisent aujourd’hui à ouvrir une belle carrière à n’importe quel incompétent.

Ce qui est sûr, c’est qu’au niveau du langage et en termes de préciosité, la connerie ne manque pas de lisibilité.

Tests à claques

Ne croyez pas qu’il faille passer beaucoup de temps devant la télévision pour récolter autant de bourdes, de niaiseries, et me donner matière à alimenter cette chronique.

Rien n’est plus faux. Il suffit simplement (hélas !) d’allumer son poste à n’importe quel moment de la journée ou du soir, et on est à peu près sûr de tomber sur une connerie bien copieuse. À condition toutefois d’avoir l’oreille fine et un minimum d’esprit critique.

Pour vous convaincre, faisons un test.

Samedi 17 mai 2003, 13h25, sur M6. Émission Bachelor.
Je ne connais rien de ce jeu télévisé à l’exception des bandes-annonces qui persuadent mes neurones déjà bien malmenés de ne pas regarder. La connerie est arrivée en moins d’une minute.
Une des candidates dit : ” C’est très excitant parce qu’il ne se passe rien. “

Avec cette simple phrase, la fille vient de résumer le concept d’une émission qui ne présente aucun intérêt. Son observation peut même illustrer l’état actuel de la télévision et, au-delà, un sociologue pourrait y voir une critique laconique et judicieuse de notre société du vide.

Quelques secondes plus tard, je zappe sur la Cinq. Émission On aura tout lu.
Le thème : ” Le service public : réforme impossible. “
Apparemment, le sujet est sérieux. Et voilà qu’un des invités déjante et dit : ” C’est en Bretagne que l’on obtient les meilleurs résultats scolaires, vous savez pourquoi ? Parce que c’est dans cette région qu’on a les pubis les plus développés. “

Ça ne s’invente pas.

Dimanche 18 mai, 21h15. Émission Capital
Au cours d’un reportage sur les jeunes Français qui vont travailler en Espagne, une créatrice d’entreprise dit ceci : ” C’est important quand on ouvre un centre international de trouver des gens de toutes les nationalités. “

Autre exemple. Pendant la guerre en Irak, la chaîne de télévision LUI invite un général-expert pour qu’il vienne nous expliquer ce qu’il faut comprendre des combats…

Et le général-expert (sic) déclare : “Une guerre n’est jamais gagnée d’avance. Il ne faut jamais sous-estimer l’adversaire.”

Grand silence sur le plateau devant la pertinence de cette remarquable “expertise”. Un talent pour l’évidence et une perspicacité de l’inutile. On attendait que le général-expert nous prédise que cette année Noël tombera le 25 décembre…

Et enfin, à un journaliste qui lui demandait s’il savait où se trouvait Saddam Hussein, Ronald Rumsfeld a répondu : ” Où est-il ? Soit il est mort, soit il est blessé, soit il ne veut pas se montrer.”

À moins qu’il soit parti chercher une bouteille à la cave.
Heureusement que l’on nous dit que les bombes, elles, sont intelligentes…

Plus de peur que de mâles

L’éditeur Plon vient de publier un livre intitulé : “J’ai connu sept ministres de l’Éducation nationale”. L’auteur : Monique Vuaillat.

Fort heureusement, une bande sur jaquette précise : “Pendant 17 ans à la tête du principal syndicat d’enseignants”.

Ouf ! J’avais pris peur. J’ai cru un moment que Catherine Millet avait fait une adepte !