Çonnerie aux morts…

Europe 1, jeudi 24 mai, 18 h, débat politique à propos du principe du référendum sur le Traité constitutionnel.

Le comique du jour, Douste-Blazy, ministre de la santé, se déchaîne :

« Ce moment est historique pour la démocratie. Après tout, quelles sont les personnes qui ont vécu ce moment démocratique de leur vivant  ? »

De leur vivant, je ne sais pas. Mais de leur mort, j’ai peur qu’elles ne s’en souviennent plus et qu’elles ne soient plus là pour répondre…

Qu’il est drôle ce Douste ! Il paraît que les morts n’en reviennent pas…

Titre resté en indécision…

À quelques jours du référendum, une phrase étonnante revient dans la presse d’aujourd’hui : « Ce sont les indécis qui vont faire la décision. »

Merveilleuse langue française, subtile jusqu’à la contradiction. Ainsi, l’opinion de l’indécis devient précieuse par le seul fait qu’il n’en a pas. Le pouvoir de l’indécis, c’est de ne pas se décider à en user.

On saura dimanche avec certitude que la certitude d’une Europe nouvelle mais incertaine sera née d’une incertitude. Les indéterminés auront pesé de tout leur poids en affirmant leur détermination.

NB : désolé, mais je n’ai pas pu me décider à décider d’un titre pour ce billet…

Poivre et seul

Hier mardi 17 mai, Journal de TF1, 20 heures. Patrick Poivre d’Arvor présente Valéry Giscard d’Estaing.

L’ancien président de la République vient commenter quelques articles du Traité constitutionnel.

A la fin de l’intervention, PPDA enchaîne, pressé par le temps, et annonce tout de go : « Ce journal est terminé. Bonne soirée sur TF1 avec le Corniaud . »

En une fraction de seconde on perçoit que le journaliste est surpris lui-même par la brutalité de la transition. Il semble subitement avoir avalé un piment fort, les yeux cherchent un endroit où se poser, il descend sous terre.

Il y a des moments dans la vie d’un présentateur où l’on doit se sentir très seul…

Bas les brosses !

Sérieux. Il paraît que dans notre beau pays, l’industrie la plus performante est… la serpillière française !

C’est quand même la moindre des choses pour une société autonettoyante qui s’aseptise si bien à coups de « politiquement correct ».

Il est vrai qu’à voir l’attitude de certains journalistes et de présentateurs télé devant la classe politique, nous ne sommes pas surpris par cette bonne nouvelle économique.

Solcarrelus, si tu nous entends, on te salue !

Nous attendons avec impatience de prochaines révélations sur les performances industrielles de la carpette et de la brosse à reluire.

Les “indéshitants” : une nouvelle race d’indéterminés !

Ce que je rapporte est authentique, je n’invente rien.

J’ai consacré récemment un billet à propos des « indécis » dont quelques commentaires de presse prédisaient qu’ils allaient faire la décision le jour du scrutin sur le Traité constitutionnel. Et voilà que jeudi soir, sur France 2, Arlette Chabot ouvre un débat politique par un sondage qui nous annonce, sans rire et sans que personne sur le plateau ne s’en inquiète : 23% d’indécis et 11% d’hésitants !

J’aimerais bien qu’un linguiste m’explique la différence d’amplitude du doute entre un indécis et un hésitant !

Plongeons-nous dans le Petit Robert pour vérifier une dernière fois avant de critiquer.

indécis, ise adj.

• mil. XVe « non jugé »; bas lat. indecisus « non tranché »

2• (Personnes) Qui n’a pas encore pris une décision ; qui a peine à se décider .

Qui ne sait pas prendre une décision, une résolution.

hésitant, ante adj.

• 1829; les hésitans subst. 1721; de hésiter

1• (Personnes) Qui hésite, a de la peine à se déterminer .

Qu’ont bien pu répondre les indécis pour mériter leur catégorie ?

— « Ce n’est pas que j’hésite mais je reste encore indécis. » ?

Qu’ont bien pu répondre les hésitants pour mériter la leur ?

— « Ce n’est pas que je sois indécis mais j’hésite encore » ?

Si j’essaye de comprendre ces questionneurs illettrés, un indécis est un électeur qui ne s’est pas encore déterminé sur une décision de vote. Soit. Et qu’un hésitant est un électeur, auparavant indécis, mais qui a fini par se déterminer alors que, peu sûr de lui, il hésite encore au point d’envisager une remise en cause de la décision qu’il avait prise pourtant quand il avait cessé d’hésiter.

Ouf !

A force de sonder, les sondeurs vont bien finir par toucher le fond…

L’industrie du livre tire la langue… vers le bas

Les éditions Fayard publient Aller-retour, tous frais payés, le dernier roman de Christine Arnothy.
Sur les vingt-deux lignes de texte en quatrième de couverture, on ne trouve pas moins d’une dizaine de clichés littéraires ! Une concentration d’expressions toutes faites et de lieux communs que l’on ne doit même pas rencontrer dans les plus mauvaises copies des ateliers d’écriture où pourtant “Aux premières lueurs de l’aube, les champs de blé ondulent sous les caresses d’un léger alizé pendant que carillonnent les cloches de la délicieuse petite chapelle du charmant village voisin.”

Épargnons-nous le texte entier, contractons plutôt la précieuse collection :

“À la terrasse d’une pâtisserie, un veuf séduisant couvre de compliments la serveuse d’une grande beauté, une rebelle de vingt ans. Étonnée par ses déclarations véhémentes, elle garde plus que jamais ses distances. Puis le veuf fait connaissance de la mère de la serveuse, une jolie divorcée de quarante ans. Il l’invite avec sa fille à Paris, sous prétexte d’une amitié à nouer. L’approche est plus que convenable. Un amour va naître.

En vente dans toutes les gares.

Veuf séduisant : pour dire d’un veuf qu’il pourrait éventuellement encore servir. Juxtaposition maintes fois rencontrée, comme s’il était indispensable de corriger cette idée d’un veuvage qui serait nécessairement l’équivalent de vieillesse et donc de dégradation physique.
Couvrir de compliments : expression multi-usages. On peut aussi couvrir de baisers, d’injures et d’opprobre.
Grande beauté : le type même d’expression qui ne veut rien dire. La beauté, on sait à peine ce que c’est. On n’a rien dit de plus en parlant de “grande beauté”.
Rebelle de vingt ans : signe extérieur de jeunesse depuis Rimbaud.
Garder ses distances : comme sur l’autoroute.
Jolie divorcée : comme “veuf séduisant”. Toute divorcée se doit d’être “jolie” pour prouver à la société que c’est elle qui est partie et qu’elle n’a pas été plaquée à cause d’un vilain bouton de fièvre.
Nouer une amitié : comme on noue sa serviette ou les lacets de ses chaussures.
Plus que convenable : Coluche aurait pu le dire : “Convenable, je sais ce que c’est, c’est convenable. Mais plus que convenable, je ne sais pas, ça vient de sortir.”
L’amour qui naît : (à ne pas confondre avec l’amour kiné importé de Thaïlande). Il y a des littératures qui gagneraient à accoucher sous X.

Ne jetons pas trop rapidement la pierre (cliché !) à l’auteur du roman en lui collant sur le dos (cliché !) cette négligence de style, bien qu’on puisse espérer qu’elle y a quand même jeté un coup d’œil (cliché !) avant d’en autoriser l’impression. Une occasion ratée de renvoyer le plumitif à ses chères études (cliché !). Mais on a froid dans le dos (cliché !) en pensant que ce texte a peut-être été rédigé par une direction littéraire. Barthes y chercherait vainement le grain de voix qui annonce un plaisir littéraire.

Tout est question de dosage. L’abus d’images tue le texte ou, tout au moins, noie le sens du texte. Écrire à coup de clichés et de lieux communs, c’est écrire avec la plume des autres. C’est porter en soi l’ambition d’un grand chef en se laissant aller à une cuisine de cafétéria. C’est piocher dans le patrimoine linguistique du café de la poste pour combler le vide de son inventivité. C’est Jean-Paul Gaultier qui puiserait son inspiration chez Kiabi.

Il s’agit moins ici de jouer les Cerbères (cliché !) de la langue que de sauter sur l’occasion (cliché !) pour épingler et mettre en boîte (cliché !) ces censeurs de manuscrits que sont les grands éditeurs culturels, d’habitude si exigeants avec les textes qu’ils reçoivent et, preuve est faite, si peu regardants avec ceux qu’ils publient. A croire qu’ils ne lisent ni les uns ni les autres.

L’édition soigne en principe cette quatrième de couverture. Le premier geste mécanique de tout lecteur est de retourner un livre pour la lire. Sa fonction commerciale est de séduire le futur lecteur en lui donnant un aperçu du plaisir qu’il aura à entrer dans le texte. Dans notre exemple, cette façon scolaire de s’exprimer retire toute intention qu’on aurait eue d’acheter un roman dont le sujet apparaît du coup extrêmement banal et ennuyeux comme la pluie (cliché !).

Cette rédaction (ne parlons pas ici d’écriture) est un modèle des pièges à éviter dans le traitement de la langue. Les enseignants devraient l’utiliser en échantillon de démonstration auprès de leurs élèves pour les éveiller à la vigilance dans l’acte d’écriture. Ils apprendraient à se méfier de la phrase qui vient toute seule sous la plume, qui s’invite sans crier gare (cliché !), à travailler leur texte et le travailler encore. A moins que l’ambition littéraire aujourd’hui ne soit pas plus élevée que celle de ma concierge quand elle rappelle ses locataires à l’ordre sur le tri sélectif.

Charles Dantzig définit ainsi le cliché littéraire : “Mot ou locution d’origine artistique, formant image, et qui est répété sans réfléchir.” (la Guerre du cliché, les Belles Lettres, 1998). Si l’expression toute faite est à fuir comme la peste(cliché !) si l’on ne veut pas écrire comme un pied (cliché !) ou comme un cochon (cliché !), elle peut toutefois s’admettre dans certains cas. On peut fermer les yeux (cliché !) devant un cliché littéraire ou un lieu commun si le texte le justifie. On peut l’employer délibérément si l’usage abusif du lieu commun fait partie de la construction du personnage ou dans un dialogue pour être plus proche de la langue parlée, ou par volonté de décontracter le propos. On peut aussi s’amuser à tordre le cou à un cliché pour le dépoussiérer, le détourner de son sens habituel, le rendre plus original, et finalement se l’approprier.

Ouvrons la presse d’aujourd’hui :
“Le commerce tisse sa toile…
“Budget de la ville : la sécurité se taille la part du lion.”
“Les panneaux publicitaires sur les panneaux publicitaires qui fleurissent à l’entrée des villes.”
Page des sports : “Le match a été mené d’un pas de sénateur.
L’abondance de clichés n’est ici pas gênante. Ce n’est pas de la littérature, c’est de la presse. Le titre doit accrocher le plus grand nombre de lecteurs, tous niveaux confondus, en les interpellant quelque part (cliché !). Plus le cliché est usé, plus il gagnera en efficacité. L’image sert ici à frapper rapidement l’attention sur le fait essentiel que l’article va développer. Si le lecteur de journal recherche une qualité d’information, des faits sérieux et vérifiés, une rédaction simple, courte et claire, il ne s’attend pas à y trouver une hauteur littéraire qui n’aurait de toute façon pas sa place dans ce contexte. Le journalisme n’est pas la littérature, c’en est même le contraire.
Mais l’usage Du cliché journalistique peut friser le ridicule (cliché !). Tel ce journaliste de télévision qui, le soir d’une élection, eut ces mots : “Les résultats devront être auscultés à la loupe.” Autres bijoux du prêt-à-porter rédactionnel et du journalisme sans peine quand, neuf fois sur dix, tout article de presse, commentaire de radio ou de télévision rapportant une catastrophe, se termine par cette phrase : “L’espoir de trouver des survivants s’amenuise au fil des jours.” Ce qui pourrait être le titre d’un livre sur l’avenir de la littérature !

Ce qui est supportable dans la presse l’est beaucoup moins en littérature où il semblerait que beaucoup succombent à la tentation (cliché !), cédant par facilité à une mauvaise habitude qui fait tache d’huile (cliché !). Prenons un livre sur l’étal du libraire et ouvrons-le au hasard. Quand je lis : “Du sang espagnol coule dans mes veines” (cliché !), la disparition de Nougaro me remet en mémoire ce que lui écrivait : “Est-ce l’Espagne en toi qui pousse un peu sa corne ?” Sur le traitement d’une idée assez proche, voilà la différence de style entre un simple rédacteur issu de la téléréalité (ce qui justifie aujourd’hui le mérite d’être publié chez Robert Laffont aux côtés de Jean d’Ormesson) et un auteur véritable.

En couverture du bouquin de Christine Arnothy, un sac et une valise posés au sol. C’est la littérature qui se fait la malle (cliché !).

Nouvelles précieuses ridicules et “personnes à grammaticalité réduite”

Parmi nos souvenirs scolaires, nous avons tous en mémoire les fameuses commodités de la conversation des Précieuses ridicules de Molière. La préciosité contemporaine ne craint pas non plus le ridicule pour la raison qu’elle est bien trop bécasse pour en prendre conscience.

Europe 1, 27 juillet 2004, bulletin d’informations de 6 h 30. Interview téléphonique du directeur de cabinet d’un préfet, dans une région touchée par la sécheresse, ce qui justifie des restrictions d’eau. Question du journaliste : ” Serez-vous amené à prendre des mesures plus draconiennes ? “ Réponse de l’interviewé : ” Oui, si la situation perdure en termes d’abaissement des niveaux… “
Il eut été à l’évidence plus simple de dire : ” Oui, si le niveau de l’eau continue à baisser. “ Mais cette dernière façon de parler correctement le français n’eut pas permis d’en mettre artificiellement plein la vue.

On aura noté l’insistance courante du verbe perdurer à la place de durer. Avec une syllabe de plus, le pédant d’aujourd’hui doit trouver que ça fait plus “chicos”. Or dans perdurer il y a l’idée d’éternité, de perpétuité, perdurer c’est durer jusqu’à la fin des temps. Si l’ignorance d’un ignorant chronique est appelée à perdurer jusqu’à sa mort, on peut au moins espérer que le niveau de l’eau, lui, baissera et que donc, il ne durera pas.

On imagine maintenant le dialogue du soir entre le directeur qui vient de sortir du cabinet et sa femme qui s’apprête à y entrer : 
– On baise ?
– On va dire (sic) qu’au niveau de ma libido il n’y a pas de soucis (sic), mais en termes de timing je crois qu’on n’aura pas le temps de faire perdurer les choses.

Dans la série des tics de langage à la mode, on trouve aussi le furoncle verbal “on va dire” (3 syllabes vocales et 4 dans le Midi de la France) qui remplace l’ancien disons (deux syllabes seulement). Mais comme personne n’a plus le courage de dire ce qu’il a vraiment envie de dire, on le fait dire par un on neutre qui agit au nom du transfert de responsabilité. Placée en début de phrase, la locution on va dire signifie que ce que je m’apprête à vous dire n’est pas exactement ce que je voudrais vous dire, mais que je vais vous dire quand même. Placée en fin de phrase, elle signifie que ce que je viens de dire n’a pas la franchise de ce que j’aurais voulu vous dire, mais que vous devrez vous en contenter, le soin vous étant laissé de deviner ce que je ne vous ai pas dit au travers de ce que je vous ai dit. On va le dire comme ça.

Quant à la préférence plurisyllabique du pédantisme moderne, elle correspond à une demande des nouvelles précieuses ridicules et autres éclopés du verbe. L’étalage syllabeux (appelé aussi syllabeuleubeuleu), permet en effet d’occuper le temps et l’espace quand on n’a rien de particulièrement intelligent à dire, quand on veut mettre du mascara sur son incompétence ou quand on croit qu’une grosse marguerite sur une paire de tongs fait plus smart. C’est ce qui pousse à répondre tout à fait ou complètement à la place d’un simple et trop rikiki oui.


France Inter, 6 août 2004. Un médecin est interrogé sur les risques d’une éventuelle canicule. Réponse (pour dire qu’il n’en sait rien) : ” Le problème est obscur en termes de lisibilité.”
Une seule solution pour ce médecin de Molière : apprendre le braille.

Le mot lisibilité est, lui aussi, très tendance. Il faut avoir une politique lisible, un programme lisible. Il se trouve placé en pole position avec le mot visibilité, probablement à cause d’une quasi homophonie, d’une confraternité de sens, et d’une complémentarité ophtalmologique.

Au niveau de et en termes de sont deux expressions pour lesquelles on devrait être autorisé à tirer à vue contre qui les dégaine. Deux expressions qui réveillent des pulsions meurtrières chez tous ceux qui aiment un parler clair de la langue et trouvent insupportable et abrutissant à la longue qu’on l’alourdisse inutilement pour faire du (mauvais) genre. Des tournures toutes faites que toutes les branques de la création reprennent à l’envi, au point que les conversations donnent l’impression de porter un uniforme et que la langue plie sous des bruits de bottes. Des expressions taillées sur mesures pour tous les handicapés de la construction grammaticale (doit-on dire personnes à grammaticalité réduite ?) et qui prennent la pose en n’impressionnant d’ailleurs que les illettrés, les autres n’étant pas dupes. Des infections verbales qui font florès dans la presse, le discours politique et dans l’entreprise où dix mots de vocabulaire de cet acabit suffisent aujourd’hui à ouvrir une belle carrière à n’importe quel incompétent.

Ce qui est sûr, c’est qu’au niveau du langage et en termes de préciosité, la connerie ne manque pas de lisibilité.

Turluttérature française

Nouvelle audace littéraire, les éditions du Rocher publient ” Toi masculin mon féminin “, le dernier (on croise les doigts… et les jambes !) roman érotique de Christine Deviers-Joncour.

“Devant lui je m’agenouille. Doucement, je promène mes mains. À travers le vêtement de peau d’ange, je l’effleure du bout des doigts. Sa virilité dessinée sous le velouté du tissu m’excite davantage. J’approche doucement mes lèvres. Il ne bouge pas, la tête jetée en arrière, à fleur de peau, il attend. Son souffle est court. Je sens perler son désir que je cueille du bout de la langue. […] “

Bref, elle lui fait une pipe, au mec, et s’en fout partout. Le genre de phrase sulfureuse qui vous fait passer illico dans n’importe quelle émission sulfureuse.

En la travaillant un peu au corps, la Christine, vous saurez tout sur le zizi. La longueur, l’épaisseur, la vitesse de rotation. Bien sûr, l’auteur marquera comme toujours une légère réprobation. Elle fera mine de ne pas comprendre pourquoi on n’extrait que ces quelques lignes délicieusement vulgaires pour parler de son immense chef-d’œuvre. Alors que ces lignes sont parfaitement intentionnelles, un peu comme on vend un mauvais film avec une bande-annonce aguicheuse. La preuve : c’est justement le passage qui a été choisi par l’éditeur pour la quatrième de couverture ! Le tout dans une langue bien trempée (voir plus haut pour les détails) qui vous fait connaître immédiatement la gloire médiatique.

Le lecteur-acheteur abusé se demandera (c’est le but) si l’énigmatique organe n’appartiendrait pas par hasard à un ancien ministre aujourd’hui âgé de 101 ans. Mais non ! Qu’allez-vous chercher là ? À chaque fois, Christine entretient le doute aussi bien qu’une érection.

Questionnée sur son passé judiciaire comme à chacune de ses apparitions (on a le curriculum vitae littéraire que l’on peut), elle ne comprend toujours pas qu’il soit répréhensible qu’un dirigeant de société pique dans la caisse pour se payer des vacances. Elle s’en offusque. Après tout, c’est son argent. On lui explique de nouveau ce qu’est un abus de bien social. Elle se rajuste les cervicales pour y trouver une idée opposable qui doit déjà glisser le long du dos. Finalement elle s’ébroue, genre “passons à autre chose”, et paraît gênée de contredire. Nul doute, pour elle, ça reste une hérésie. Ce qui démontre que le Code pénal n’est pas sexuellement transmissible.

Alors qu’on ne s’étonne pas, nous prévient-elle, “que les cerveaux quittent notre pays.” Stupeur et tremblements. On imagine la ménagère de moins de cinquante ans regardant l’émission, cramponnée à son canapé, terrifiée à l’idée que Christine pourrait fuir l’intelligentsia parisienne pour aller offrir son immense talent littéraire à l’étranger. Les plus optimistes y auront sans doute vu l’heureuse menace d’un départ.

Quitter la France ? Mais pour aller où ? À Taïwan, où elle ne serait qu’une vedette ? Non Christine, laisse ton cerveau en France, dans ce magnifique pays où les belles cervelles se ressemblent, se rencontrent et s’entraident ; un pays magnifique où des cerveaux du même poids que le tien font de toi une vraie star de l’écriture. Un pays où de fins éditeurs, sur la masse de manuscrits qu’ils refusent toutes les semaines, ont tout de suite vu que ton sujet n’avait jamais été traité et que ton style sentait bon la nostalgie du cliché littéraire pourchassé dans toutes les narrations des classes de sixième. Citons :


Les enivrantes effluves des parfums : Dieu que la banalité est belle ! Deux clichés pour le prix d’un !
(Avec une faute d’orthographe à “enivrantes” que les correcteurs des Éditions du Rocher écrivent avec deux n !)
Je promène mes mains… : et marcher, c’est promener ses jambes ?
Son souffle est court : le souffle littéraire aussi.
Je sens perler son désir : comme si elle gobait une huître…

Et la direction littéraire qui en remet une couche en quatrième de couverture pour encenser le style du grand écrivain : Une écriture d’une sensualité à fleur de peau. Le cliché étant usé, éculé, il doit s’agir probablement d’une vieille peau.

On se souvient des déclarations de Jean-Paul Bertrand, patron des Éditions du Rocher (si c’est toujours lui), dans une interview qu’il donnait jadis à Jacques Chancel.
Las d’être envahi de manuscrits jugés par lui sans valeur, il s’apprêtait à écrire un livre qui expliquerait à la France littéraire d’en bas comment il faut écrire. Des conseils qu’il ferait bien de réserver aux illettrés de son propre catalogue.

Octobre noir

Octobre 2003.
L’été caniculaire a tué des milliers de vieilles personnes.
On accuse pêle-mêle l’indifférence, l’incapacité, l’irresponsabilité, l’imprévoyance, la météo.
Un type a dit à la télé que, de toute façon, elles seraient mortes tôt ou tard parce qu’elles étaient vieilles.
Plusieurs observateurs y voient le signe d’une société qui abandonne ses vieux parce qu’ils sont devenus improductifs et encombrants.
Certaines familles n’ont toujours pas réclamé les corps.
On discute toujours de la couleur du tricot Lacoste du ministre de la santé.
Sur FR3, la femme du président, qui au moment de l’hécatombe était en vacances au Canada, vient nous expliquer que nous sommes tous responsables. Nous sommes tous coupables. À ses côtés, sur le plateau de l’émission ” Au nom des autres ” animée par Évelyne Thomas, un amuseur-imitateur se dresse en moraliste et confirme que oui, nous sommes tous responsables. Responsables et coupables.

Tony Blair a été hospitalisé à la suite d’un léger malaise cardiaque.
Yasser Arafat souffre d’un calcul biliaire. La presse revient sur son opération du cerveau.
Un célèbre cancérologue est mort du cancer.
La France débat sur l’euthanasie.
TF1 nous dit tout sur les soins palliatifs.
Le saumon serait toxique et donnerait le cancer.
On assiste au retour de vieilles maladies qu’on croyait éradiquées.
Dans la région parisienne, on signale un cas de diphtérie, le premier depuis quinze ans.
Bush va bien. Il lance une campagne pour interdire les relations sexuelles avant le mariage.
Le terrorisme biologique menace.
Les experts se préparent à un retour du SRAS. Les autorités françaises planchent sur trois scénarios de sa réapparition.

Les Européens sont de plus en plus stressés au travail. Maux de dos, de tête, de poitrine, palpitations, troubles du sommeil et de la digestion, irritabilité, nervosité, abattement.
Des usines ferment. Le nombre de licenciements est en augmentation.
Le patronat dit que les Français sont paresseux, ils ne veulent pas travailler.

Nous sommes responsables du déficit de la sécurité sociale.
Nous allons trop souvent chez le médecin.
Nous consommons trop de médicaments.
Mais la radio diffuse tous les jours les messages d’une campagne publicitaire de l’industrie pharmaceutique.
Ces messages nous conjurent de surveiller notre taux de cholestérol.
Notre tension aussi, il faut la contrôler.
On nous engage à une hygiène de vie qui prévienne les maladies cardio-vasculaires.
On insiste : fumer tue.
On nous exhorte à contrôler notre diabète.
Et tous ces messages se terminent par : ” N’hésitez pas à consultez votre médecin ! “

La malbouffe menace nos enfants d’obésité.
Le Bureau de Vérification de la Publicité énonce quelques recommandations.
Les industriels et les publicitaires se décident à faire un effort en corrigeant la mise en scène commerciale des produits mis en accusation. À la télé, on verra toujours des gosses bouffer les mêmes merdes, mais on les verra maintenant se rendre malades “dans le cadre d’une activité physique.”

On nous éduque au tri sélectif de nos déchets ménagers. Le volume des emballages est trop important par rapport à nos épluchures. Nous sommes coupables de mal acheter. C’est de notre faute si nous ne savons pas choisir d’autres produits que ceux que l’industrie nous vend.

On dit que Diana a été assassinée.
Toutes les chaînes de télé diffusent des documents pour accréditer la version du complot.
Les librairies dégueulent de bouquins à l’appui de cette thèse.
On dit aussi que le vice-président Johnson est le commanditaire de l’assassinat de Kennedy.
Un film télé nous explique que Dominici n’a pas tué, il aurait été victime d’un complot.

La télé nous inonde d’images du pape en voyage. Il fait peine à voir. On dirait un candidat de Kholanta au bout du rouleau, gélatiné par la fatigue. Le vieil homme tremble de partout. Son visage a le teint d’un embaumé vivant.

L’industrie du disque a sorti des chansons inédites de Jacques Brel. Il les avait jugées insuffisamment travaillées pour être livrées au public. Maintenant qu’il est dans la tombe, on peut faire ce qu’on veut. L’une d’elle passe en boucle à la radio. Elle dit que l’amour est mort. À la fin, même le vieillard de Rome aurait envie de se suicider.

Le monde est devenu un enfer paranoïaque et hypocondriaque. La théorie du complot fait vendre des images et du papier, le catastrophisme est devenu un produit de grande consommation. Alors, dans cette atmosphère sombre et morbide, culpabilisé, le moral mis en berne, j’ai cauchemardé : Sulitzer entrait à l’Académie française, Christine Deviers-Joncour était élue Marianne de l’année et Alain Madelin avait été élu président de la République.

Et dans cette ambiance dépressive, le premier ministre de la France déclare : ” Il n’y aura pas de reprise économique si les Français ne retrouvent pas le moral. “
En voilà au moins un qui nous donne envie de sourire…

Tests à claques

Ne croyez pas qu’il faille passer beaucoup de temps devant la télévision pour récolter autant de bourdes, de niaiseries, et me donner matière à alimenter cette chronique.

Rien n’est plus faux. Il suffit simplement (hélas !) d’allumer son poste à n’importe quel moment de la journée ou du soir, et on est à peu près sûr de tomber sur une connerie bien copieuse. À condition toutefois d’avoir l’oreille fine et un minimum d’esprit critique.

Pour vous convaincre, faisons un test.

Samedi 17 mai 2003, 13h25, sur M6. Émission Bachelor.
Je ne connais rien de ce jeu télévisé à l’exception des bandes-annonces qui persuadent mes neurones déjà bien malmenés de ne pas regarder. La connerie est arrivée en moins d’une minute.
Une des candidates dit : ” C’est très excitant parce qu’il ne se passe rien. “

Avec cette simple phrase, la fille vient de résumer le concept d’une émission qui ne présente aucun intérêt. Son observation peut même illustrer l’état actuel de la télévision et, au-delà, un sociologue pourrait y voir une critique laconique et judicieuse de notre société du vide.

Quelques secondes plus tard, je zappe sur la Cinq. Émission On aura tout lu.
Le thème : ” Le service public : réforme impossible. “
Apparemment, le sujet est sérieux. Et voilà qu’un des invités déjante et dit : ” C’est en Bretagne que l’on obtient les meilleurs résultats scolaires, vous savez pourquoi ? Parce que c’est dans cette région qu’on a les pubis les plus développés. “

Ça ne s’invente pas.

Dimanche 18 mai, 21h15. Émission Capital
Au cours d’un reportage sur les jeunes Français qui vont travailler en Espagne, une créatrice d’entreprise dit ceci : ” C’est important quand on ouvre un centre international de trouver des gens de toutes les nationalités. “

Autre exemple. Pendant la guerre en Irak, la chaîne de télévision LUI invite un général-expert pour qu’il vienne nous expliquer ce qu’il faut comprendre des combats…

Et le général-expert (sic) déclare : “Une guerre n’est jamais gagnée d’avance. Il ne faut jamais sous-estimer l’adversaire.”

Grand silence sur le plateau devant la pertinence de cette remarquable “expertise”. Un talent pour l’évidence et une perspicacité de l’inutile. On attendait que le général-expert nous prédise que cette année Noël tombera le 25 décembre…

Et enfin, à un journaliste qui lui demandait s’il savait où se trouvait Saddam Hussein, Ronald Rumsfeld a répondu : ” Où est-il ? Soit il est mort, soit il est blessé, soit il ne veut pas se montrer.”

À moins qu’il soit parti chercher une bouteille à la cave.
Heureusement que l’on nous dit que les bombes, elles, sont intelligentes…